
Dans son ouvrage, Le municipalisme libertaire, Janet Biehl nous propose une introduction à la pensée de Murray Bookchin, grand théoricien de l’anarchisme et fondateur de l’écologie sociale. Cette théorie politique, sociale et philosophique, dans laquelle l’homme et son environnement sont indissociables du projet politique, s’inspire, entre autres, du communalisme, une doctrine qui s’appuie sur les communautés comme moteur des décisions politiques, mais dont le programme est menacé par le système capitaliste actuel. Le municipalisme libertaire est le versant politique de l’écologie sociale développée par Murray Bookchin qui propose une alternative locale, plus écologique et antiautoritaire, en vue de rendre actives les possibilités démocratiques devenues latentes chez les gouvernements locaux.
Biehl tente d’éclaircir les aspects fondamentaux du municipalisme libertaire comme système politique. Celui-ci repose sur une démocratie participative et directe, une décentralisation des institutions ainsi que sur la création d’une confédération de municipalités qui remplacerait l’État-nation, une entité politique contestée puisqu’elle dessert les intérêts du capitalisme. En passant par les cités athéniennes, jusqu’aux towns américaines, Biehl esquisse le contexte historique dans lequel Bookchin a formulé ses idées et tente de donner aux lecteurs quelques pistes d’action pour mettre en place l’organisation d’un mouvement municipaliste libertaire.
Contrairement à ce que l’on pense, la tradition démocratique ne vient pas de l’État-nation, mais plutôt de la démocratie participative exercée dans la cité d’Athènes au milieu du Ve siècle avant l’ère chrétienne. La polis, origine du mot « politique », supposait, selon Aristote, la « démocratie directe » qui désigne la dimension participative et publique d’une communauté. Pour les Athéniens, la participation à la politique était considérée comme un élément propre à leur nature humaine afin de se socialiser et de gérer ensemble la vie communautaire. C’est par la participation à la vie politique que les Athéniens pouvaient s’accomplir pleinement et concevoir la notion de liberté.
Le point de départ d’un tel programme est la communauté. Il faut donc démanteler l’État
C’est dans cet esprit que Biehl souligne l’importance d’une démocratie directe dans un mouvement politique. Selon l’auteure, il faut redonner le pouvoir aux citoyens et leur fournir les outils afin qu’ils puissent prendre des décisions relatives à leur communauté et à leur société. Ce mouvement révolutionnaire propose une gestion directe des affaires communautaires par le truchement d’institutions participatives, telles que les assemblées populaires. Le municipalisme libertaire vise à revaloriser l’engagement du citoyen pour lui permettre de faire des choix significatifs.
Le point de départ d’un tel programme est la communauté. Il faut donc démanteler l’État pour décentraliser les pouvoirs et recréer des institutions politiques à l’intérieur de plus petites municipalités. Dans les grandes villes, il s’agit de reconstruire des infrastructures sous le contrôle des arrondissements urbains ou de quartier. L’objectif est de recréer des unités de proximité avec des conseils locaux de citoyens. L’auteure explique que l’hôtel de ville est souvent plus accessible pour la population que les parlements nationaux, provinciaux ou fédéraux. D’ailleurs, Aristote croyait que la polis devait être petite pour que chacun soit près d’un pouvoir local accessible et puisse ainsi développer une familiarité avec ses concitoyens. Cette décentralisation doit aussi favoriser la création de localités davantage autosuffisantes.
Ces quartiers et ces villages plus démocratisés pourront peu à peu s’unir, dans une confédération, pour coordonner des services intramunicipaux sur des décisions de logistique telles que le transport ou, à plus grande échelle, le choix d’une langue commune. Le confédéralisme est un mode d’organisation sociale et politique qui permet d’institutionnaliser l’interdépendance entre les entités locales tout en préservant leur autonomie, leur liberté ainsi que leur souveraineté.
Le mode de prise de décision se ferait par consensus, contrairement à la règle de la majorité. Pour ce faire, il faudra orienter, par l’éducation populaire, les hommes et les femmes du commun vers une démarche dynamique qui repose sur deux principes essentiels : la solidarité et la raison. Pour rendre possible la communauté, les habitants doivent adhérer à des devoirs et des obligations qui dépendent de leur soutien actif, de leur participation commune et de leurs responsabilités partagées. La raison se développe par la discussion et la délibération plutôt que la partisanerie. Le but est de participer à des réflexions constructives au bénéfice de la collectivité.
C’est ainsi que nous aurons la commune des communes. Un programme politique qui s’inscrit dans la même lignée que Hannah Arendt, Cornelius Castoriadis et Noam Chomsky, car tous défendent la décentralisation des pouvoirs, une démocratie locale, participative et directe, ainsi qu’une liberté et une souveraineté des institutions sociales et politiques. Bref, le municipalisme libertaire est un vent de fraîcheur qui ranime l’intérêt pour le monde de la politique municipale et laisse espérer le renouvellement de la démocratie.