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La fête nationale ? Who cares anyway ?

Par Christine Portelance le 2014/07
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La fête nationale ? Who cares anyway ?

Par Christine Portelance le 2014/07

À l’instar de la Saint-Patrick, on pourrait en juin se contenter d’un défilé et profiter d’une longue fin de semaine en août, comme au Canada. Certains seraient d’accord, si j’en crois des propos étudiants lus et entendus ce printemps : « le Québec est maintenant multiculturel… l’anglais est la langue de la mondialisation qui est ouverture sur le monde… la loi 101 était trop puissante, elle a été améliorée par des amendements… si tout le monde est bilingue, il n’y a plus à s’en faire… la génération des baby-boomers était anglophobe, c’était là le problème ». Si on ajoute à cela que 65 % des jeunes préfèrent la musique anglo-saxonne et les films américains — à preuve la programmation du Festival d’été de Québec : Lady Gaga, The Killers, Soundgarden, Local natives, etc. —, est-ce vraiment la peine de monter des spectacles le 24 juin? Grâce au multiculturalisme, on peut désormais triper sur toutes les cultures, sauf sur la nôtre qui est out, dans un Oil Canada formaté par un cowboy de la démocratie.

On peut penser qu’il s’agit d’une victoire : les jeunes ne sentent ni leur culture ni leur langue menacées. Devenu citoyen du monde, le colonisé d’antan est complètement décomplexé. Plus besoin de manifestations culturelles, le divertissement suffit.

En apprenant que certains jeunes croyaient qu’en matière de politique linguistique, ma génération avait agi par pure anglophobie, j’ai été aussi surprise que si on m’avait dit que les luttes féministes avaient été menées par misandrie et que l’on voyait aujourd’hui qu’elles n’étaient pas nécessaires. Lire le passé comme si c’était du présent est symptomatique de l’absence d’une conscience historique, absence que l’école entretient ici depuis des années. Le procédé est courant : on n’explique pas aux écoliers chinois les revendications des étudiants de la place Tiananmen…

Il y a quelques mois, lors d’une discussion sur la corruption et la collusion, autre surprise. Une jeune femme bardée de diplômes m’a expliqué que la solution passait par la démocratie directe : elle souhaitait voter toutes les décisions politico-économiques par cellulaire. « Par exemple, m’a-t-elle dit, pour le futur pont Champlain, je suis parfaitement capable de choisir la meilleure proposition. » Wow! Démocratie directe, modèle Star Académie. Omnipuissance du JE dans son bocal cathodique. Dès lors, la collectivité se réduit à une immense vague blogueuse avec cacophonie d’invectives et Panurge comme modérateur.

Sous le rouleau compresseur de la mondialisation, avec une acculturation scénarisée à Hollywood, allons-nous bêtement nous fondre dans un moule ultra-kitsch où toutes les opinions se valent? Occupés que nous sommes à enjoliver la vitrine d’un moi virtuel en attente du prochain sursaut viral, avons-nous développé une allergie à tout ce qui nécessite connaissances et réflexion? Doit-on rire ou pleurer devant cette pub où Fido affiche son bol de croquettes sur les réseaux sociaux?

Accros à l’instantané, « je » cliquette et « tu » cliquettes et le cliquetis de souris trompe-ennui ressemble parfois au roulement d’une cage à hamster.

L’humanité est un projet, l’humain un animal culturel. Comment en poursuivre le récit sans références culturelles? Peut-il même y avoir culture sans conscience historique et sans un sens de la collectivité? Art, littérature ou même écologie existent-ils dans l’horizon d’un éternel présent? Or pour de la substance culturelle, il faudrait moins d’illettrés, de politiciens béotiens, plus de mémoire, d’imaginaire, de curiosité. Plus d’engagement, de questionnements sur la vie bonne et moins de réponses marchandes, de logique comptable. Avant que la nature ne vienne nous rappeler que l’on ne domine rien du tout.

Anyway la culture ne fait pas partie des « vraies affaires », alors who cares? « Mais… » dit Zadig. « Mais… » dit Candide.

Certains matins, accablée d’une immense fatigue culturelle, je me dis que l’humain est un animal voué à la déliquescence qui, s’appuyant sur la domestication du plus grand nombre, ne sait que construire, empire après empire, de jolies ruines pour des hordes de touristes qui ne feront qu’en accélérer la détérioration: Khéops, Delphes, Angkor ou Machu Picchu. La culture est-elle autre chose qu’une mince couche de vernis sur un singe nu, et qui fait que sur le pont du Titanic l’orchestre continuera à jouer?

Au baissant du jour me reviennent ces mots de Baudelaire : « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille »… Demain, il faudra bêcher le jardin.

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