Actualité

Désarroi et désillusion

Par Jacques Bérubé le 2014/07
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Désarroi et désillusion

Par Jacques Bérubé le 2014/07

Ma très chère fille,

Tu n’as pas aimé mes réactions pendant la dernière campagne électorale quand les libéraux ont remonté dans les sondages pour finalement reprendre le pouvoir après seulement 18 mois de « purgatoire ». Pourtant, je n’ai exprimé mon désarroi et ma désillusion que par des montages photographiques sur ma page Fesse de bouc… Je n’ai pas été plus méchant ou cynique que d’autres et je me suis sûrement plus amusé. Le vieux gauchiste désabusé de la politique actuelle, si peu porteuse d’espoir et toute tournée vers le cocooning, aurait pu faire pire.

Je réécris ces mots pour que tu les saisisses bien, ma fille : désarroi et désillusion. Auxquels j’ajouterai déception totale devant le niveau d’intérêt et de compréhension du peuple votant pour les enjeux de notre société québécoise.

Tu m’as écrit que les « gens de notre âge » manquaient de respect dans leurs attaques contre les fédéralistes. Mais tu as aussi écrit : « (…) peut-être que je penserais différemment si j’avais connu Lévesque ». Je te confirme que oui et j’ajoute que je suis touché et fier qu’à ton âge, tu puisses te référer à René Lévesque et aussi à Jacques Parizeau que tu vois comme « un vrai et un grand ». Parce que les indépendantistes de mon âge sont tous filles et fils de Lévesque et de Parizeau. Ces deux-là, par des chemins différents, ont grandement fait avancer le Québec en portant toujours bien haut le projet d’un pays. Et ils étaient épaulés en cela par des Camille Laurin, Lise Payette, Gérald Godin et autres grandes femmes et grands hommes. Et nous y avons cru! Parce que ce pays en devenir s’appuyait alors sur un véritable projet de société : équitable, juste, humaniste et social-démocrate pour de vrai!

Pour que tu comprennes bien ce qui a lentement et insidieusement mis en place notre désarroi et notre désillusion d’aujourd’hui, je t’écris en quelques mots ce que nous avons vécu dans les 40 dernières années.

15 novembre 1976 : René Lévesque et le Parti québécois prennent le pouvoir de façon triomphale en battant les libéraux de Robert Bourassa. « On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple! », nous lance alors René Lévesque entouré de plusieurs nouveaux élus qui formeront avec lui l’un des meilleurs gouvernements de l’histoire du Québec.

20 mai 1980 : Premier référendum; première défaite amère. J’avais 21 ans, plus jeune que toi aujourd’hui, et j’avais déjà depuis longtemps la passion du pays du Québec au cœur. Plus de la moitié de la population (60%) dit non à une trop longue question qui parlait plus de négociations que de pays, question concoctée par un ministre qui travaillait pour les services secrets canadiens depuis plus de vingt ans. Et à fourbe, fourbe et demi, le premier sinistre canadian Trudeau avait faussement mis en jeu les sièges de ses fédérastes dépités du Québec en demandant à ceux qu’il osait encore appeler ses compatriotes après les avoir tant bafoués, de miser sur le fédéralisme qu’il promettait de renouveler.

1982 : La Nuit des longs couteaux. Manipulés par le fou du roi de Trudeau, Jean Chrétien, les premiers ministres des provinces canadiennes renient les ententes prises avec le Québec et signent une constitution « renouvelée » à la sauce Trudeau-Chrétien qui affaiblit et isole le Québec. C’est le début de la fin pour René, qui démissionnera en 1985 et mourra subitement le 1er novembre 1987, laissant tout notre non-pays dans un deuil d’une tristesse inouïe.

La mort du père incite Jacques Parizeau, qui avait quitté la politique en 1984, à revenir. Il prend la tête du PQ en 1988. Le rêve renait et ce chef ne passera pas par quatre chemins pour nous y mener. Le PQ prend le pouvoir en 1994 et Parizeau promet un référendum dès l’année suivante.

Octobre 1995 : Deuxième référendum, campagne enlevante. Le chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, a rejoint Jacques Parizeau sur les tribunes du OUI, qui mène invariablement dans les sondages. Paniqués, les Chrétien, Johnson et Charest prennent les grands moyens, faisant fi des règles. Certificats de citoyenneté émis en grand nombre à la hâte aux nouveaux immigrants — il vous faut voter non, ou alors… —, « love-in » d’anglophones venus en voyages gratuits (et non comptabilisés) offerts par Air Canada, CP Air, VIA Rail, chanter faussement la pomme aux Québécois le temps d’une brosse à Montréal sur le bras du fédéral.

OUI : 49, 2 % – NON 50,8 %; 50 000 votes de différence.

Alors le tapis a commencé à nous glisser sous les pieds. Ayant vu son but raté, le grand Jacques a démissionné et Lucien Bouchard lui a succédé. Le PQ a dès lors commencé à tourner le dos à son option et à nous seriner la même rengaine: bon gouvernement, déficit zéro, conditions gagnantes. Mais point de pays. On nous parlait bien de temps en temps de référendum, mais pas d’indépendance et de pays. Comme un charpentier qui nous parlerait de son marteau sans vouloir nous dire ce qu’il construira avec…

Puis Lucien Bouchard est parti à son tour et Bernard Landry a bravement pris la relève, avant d’être victime de l’ère des spin doctors faiseurs d’images, venus en politique plus par ambition carriériste que par conviction. Conviction? Ouate de phoque?

En 2003, désastre, Gros Jean comme de vent Charest a pris le pouvoir. Bonjour le favoritisme, au revoir les idées. S’est alors amorcée la descente : le PQ a commencé à avoir peur de l’ombre de son option. Moins on en parlerait, mieux on se porterait. Un éphémère chef dura le temps de quelques sourires et plusieurs phrases creuses, puis vint Pauline Marois-la-Dame-de-béton. Très tiède souverainiste, elle réussit tout de même à devenir la première femme première ministre du Québec. Durant 18 mois. Puis, elle s’effondra comme un viaduc de Montréal, aussi fait de béton.

Et voilà où on en est aujourd’hui. Parce que le parti dans lequel nous avons cru peut-être trop naïvement et sans doute trop longtemps n’a pas réussi à souffler sur les braises de la foi souverainiste, trop occupé qu’il était à vouloir le pouvoir et la gouvernance.

Et en 2014, après juste 18 mois de gouvernement du PQ, revoici le même vieux parti libéral au pouvoir, majoritaire de surcroît. Tu me diras que c’est le PQ qui a décidé d’aller en élection en misant sur un piètre projet de charte plutôt que sur la souveraineté et tu auras raison. Mais maintenant, les jeux sont faits.

Et aujourd’hui, ma chère fille que j’aime, nous nous retrouvons non seulement orphelins d’un grand projet, mais aussi hébétés devant les tournures qu’a pris le courant politique dans les dernières années : droite conservatrice religieuse et réactionnaire au Canada et néolibéralisme proéconomie et valeurs individuelles au Québec.

Et nous, filles et fils de Lévesque et Parizeau, nous vivons encore un profond deuil : deuil du pays en lequel nous croyions et deuil des valeurs qui soutenaient ce grand projet.

Note : Une version plus élaborée et détaillée de ce texte est disponible sur le blogue de l’auteur. www.lestylosauvage.com

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