Dieu a beau avoir tous les pouvoirs, il n’est pas à l’abri de l’ennui. Heureusement, son pote, l’archange Gabriel, veille sur lui. Ainsi, l’ailé comparse de Dieu, désolé de le voir se morfondre devant sa création en fumant des clopes, l’entraîne un jour dans une folle virée toxico-éthylique. Saoul comme une botte, Dieu aperçoit la belle Marie, qu’il ne tarde pas à séduire. S’ensuit une nuit torride abruptement interrompue par l’arrivée du désormais saint patron des cocus, Joseph. Neuf mois plus tard, il est né le divin Jicé…
Telle est la pas-si-immaculée conception que Winshluss nous présente dans In God we trust, une version, faut-il le préciser, irrévérencieuse et déjantée des récits bibliques. Winshluss est un auteur incontournable de la bande dessinée indépendante, particulièrement après son hallucinant Pinocchio (paru en 2008), version hardcore du célèbre conte, mêlant remarquablement cynisme et onirisme.
Avec In God we trust, également publié chez Les Requins Marteaux, l’auteur propose une suite d’histoires courtes qui empruntent à la trame biblique, bien sûr, mais aussi à différents genres de la culture populaire. On se retrouve tantôt devant une parodie du roman-photo sentimental, tantôt devant un pseudo-comic américain, tantôt devant une fausse publicité proposant des objets de culte inusités (des gants barbelés pour prévenir les envies masturbatoires des enfants – ça vous intéresse?).
Le dessin de Winshluss est hors-norme et rappelle la BD underground des années 1970 : un peu gras, hachuré, pas destiné à « faire joli ». Il n’en est pas moins magistralement maîtrisé. D’autant que la qualité de l’édition met le tout en valeur : on a presque affaire à un livre-objet.
Toutes ces qualités contribuent à constituer un cadre exceptionnel dans lequel on s’attendrait à trouver un récit particulièrement original. Malheureusement, le ton impertinent demeure au final assez gentillet. La parodie n’est pas toujours subtile ni très novatrice : le diable qui corrompt Adam et Ève pour les faire jouer dans un film porno, ce n’est pas de l’humour au 5e degré; les curés qui abusent des enfants de chœur, c’est un peu facile. On regrette que l’auteur n’ait pas trouvé un angle légèrement plus décalé qui aurait pu donner une épaisseur réelle à l’ouvrage.
Mais qu’importe, on rigole franchement quand on voit comment Jésus réussit à marcher sur les eaux, c’est-à-dire en se « gossant » une planche de surf. Les leçons d’ébénisterie de son beau-père Joseph auront finalement servi! On s’esclaffe quand Winshluss rempile : les talents de surfeur de Jésus impressionnent une bande de jeunes (douze au total), avec qui il multipliera les commandes de pichets de vin au tavernier et donnera joyeusement dans la délinquance. On prend plaisir à voir Jésus en colère. Un père absent, ça laisse des traces, comme revenir sur Terre juger l’humanité à la pointe de sa carabine tronçonnée.
In God we trust fait partie de ces albums qu’on aurait aimé aimer davantage, mais tant pis, ou tant mieux : Winshluss expérimente, s’amuse, se joue des icônes autant bibliques que culturelles, et nous partage son plaisir. Nous aussi, on s’amuse diablement.
Winshluss, In God we trust, Les Requins Marteaux, 2013, 104 p.