
Le Petit Larousse donne la définition suivante : « Carnet : Assemblage d‘imprimés (…) détachables. » C’est aussi ce que nous propose Michel Vézina dans son dernier ouvrage, Parti pour Croatan publié récemment aux Éditions Somme toute. Il s’agit d’un assemblage de notes qui, mine de rien, forment de fil en aiguille (ou d’aiguille en fil) un récit cohérent. Vézina nous entraîne au Croatan. Lieu imaginaire de désillusions sociales, peut-être, mais aussi refuge où se côtoient pages du quotidien, poésie et ébauches de divers projets. Une incursion audacieuse dans un univers créatif et intimiste où il se fait « personnage », au ton parfois condescendant, et exploite allègrement la mince ligne entre le réel et l’imaginaire. De là, le sentiment franc de voguer sur cette réponse de Dany Laferrière qu’il cite, aussitôt les premières pages passées : « Ça n’a aucune importance, m’avait-il répondu, tout ce qui compte, c’est l’écriture. Seule la part de floue entre ce que vit l’écrivain et ce qu’il invente compte au moment même de l’écriture, dans sa solitude la plus totale. »
Michel Vézina porte plusieurs chapeaux : écrivain, chroniqueur et éditeur. Il a été, entre autres, rédacteur en chef au Mouton Noir de 2000 à 2002. Il est l’auteur de six romans, de nombreuses nouvelles et de plus de 900 chroniques. Entre la haute couture et la courtepointe en « Phentex », il offre ici un amalgame travaillé et réfléchi malgré un air brut. Une critique sociale de l’actualité récente qui prend des allures de blogue « format papier » où l’on conteste par la même occasion cette forme d’expression. Un regard qui ne met jamais de mots dans la bouche du lecteur, il lui ouvre plutôt la porte à forger SA propre réflexion et SA propre opinion.
Quelques paragraphes de réécriture offrent une perspective intéressante, bien dosée sans quoi l’exercice aurait rapidement pu devenir lassant. C’est le cas du synopsis de « De la farine de flibustier », une histoire de pirates se jouant dans les années 1700 qui apporte aux carnets une atmosphère dont il fait bon s’imprégner pendant un petit peu plus longtemps qu’une page expéditive ou deux. Une source au cœur de cette virée au Croatan. Un Croatan aux racines bien réelles, partout et nulle part à la fois mais surtout, surtout un terrain boisé, en belle saison, offrant à l’auteur à la fois un refuge, espace de solitude tangible, et de bons moments entre copains, bonne bouffe et alcool inclus.
Ce serait un leurre de croire que Parti pour Croatan plaira à tous. Pour ceux qui ont lu ses romans précédents, c’est un sacré bon prétexte à la rencontre et pour les autres, une clé pour aborder ses publications passées et à venir. Pour l’audace nécessaire à cette forme d’écriture, pour le partage et pour l’hymne à la vie un peu rebelle qui s’en dégage, à travers ses bas et ses (con)bats. À bons entendeurs : un bel ouvrage de la littérature québécoise à découvrir!