
Lors du forum OGM (organisme génétiquement modifié) organisé par l’UPA à Drummondville en novembre dernier, la question de l’acceptabilité sociale des OGM a été abordée. Ce forum, intitulé Agriculture et OGM : réfléchir et agir ensemble, visait à encourager un dialogue entre producteurs agricoles. Il semblerait en effet que, malgré l’augmentation de la superficie des cultures OGM dans la province, les agriculteurs se questionnent sur le bien-fondé de la biotechnologie pour l’avenir de notre agriculture. Parmi les préoccupations, on peut nommer la productivité, l’environnement ainsi que le maintien d’un secteur agricole diversifié et viable pour tous les producteurs.
Acceptabilité sociale
La notion d’acceptabilité sociale est intrigante quand on pense au déferlement de produits OGM depuis les deux dernières décennies, et ce, malgré le manque de transparence du système réglementaire et des stratégies quelque peu douteuses de mise en marché de plusieurs aliments. N’oublions pas l’absence flagrante d’études scientifiques suffisamment inquisitrices sur les impacts sanitaires et écologiques à long terme d’une alimentation génétiquement modifiée ainsi que la légèreté d’un système d’homologation basé sur des concepts comme l’équivalence en substance et la familiarité, qui visent principalement à démontrer la similarité entre les OGM et leurs contreparties conventionnelles. Ainsi, la réglementation fédérale ne tient pas compte du processus de transformation génétique et de certains effets néfastes inattendus. On considère que les OGM ne présentent aucun nouveau risque. Alors, pourquoi parler d’acceptabilité sociale après 20 ans de commercialisation des produits OGM?
Mises à part les questions scientifiques d’homologation et d’évaluation sanitaire et écologique qui demeurent à ce jour très controversées et qui visent à ne souligner que les attributs familiers des produits, les instances fédérales considèrent qu’informer les consommateurs sur les OGM n’est pas nécessaire. Au Québec et au Canada, le système d’étiquetage des aliments transgéniques est volontaire, laissant à l’industrie agroalimentaire le choix d’informer le public sur le contenu des produits consommés. Il en est de même pour les systèmes de traçabilité des produits, ce qui rend la question de l’étiquetage très complexe. Ce silence autour des OGM peut s’expliquer par plusieurs études qui montrent que la transparence aurait comme impact d’augmenter la demande pour les produits biologiques et sans OGM. En fait, des politiques d’étiquetage obligatoire et de traçabilité entraîneraient une diminution de la demande d’aliments OGM. Ironiquement, les seuls produits étiquetés sont les produits issus de l’agriculture biologique qui ne peuvent contenir d’OGM.
L’étiquetage
Sachant qu’environ 60 pays exigent l’étiquetage obligatoire, 20 États américains ont proposé des projets de loi sur la question. Malheureusement, les grands groupes agro-industriels ont bloqué ces initiatives malgré les sondages, comme celui du New York Times (2013) qui indique que 93 % des Américains seraient pour un étiquetage obligatoire des OGM. Il en est de même au Québec, où plus de 86 % des Québécois appuieraient une telle loi (sondage Léger Marketing, 2007). La tendance se maintient, comme en témoignent les nombreux sondages effectués en Amérique du Nord depuis 2000. On assiste d’ailleurs à une nouvelle forme de résistance aux OGM, qu’on pourrait appeler l’étiquetage « défensif », proposé par le groupe « Non-GMO project », qui certifie les produits sans OGM et propose un label particulier à cet effet.
L’étiquetage constitue malgré tout un enjeu minimal, car sans système de traçabilité des aliments, il est impossible de savoir d’où proviennent les ingrédients génétiquement modifiés (dérivés du maïs, du soja et du canola) contenus dans 80 % des produits transformés. Sans parler des problèmes de contamination génétique causés par la pollinisation croisée, mais aussi par le mélange de semences OGM et sans OGM pendant la culture, la récolte, le transport, l’entreposage et la transformation des produits. La forte présence des OGM au Québec (83 % du maïs cultivé) menace l’avenir de la filière biologique. Une fois disséminées, les plantes qui tolèrent les herbicides ne peuvent être éliminées que par une application de produits chimiques. Fini alors pour le bio. Le cas de la luzerne transgénique qui tolère le Roundup, homologuée depuis 2005, sonne l’alarme. Les syndicats agricoles canadiens, dont l’UPA, se sont mobilisés pour empêcher sa commercialisation. La contamination génétique est donc un enjeu central mal géré par les politiques de « coexistence » entre agriculture conventionnelle, biologique et transgénique. Comme le montrent les cas du maïs et du canola, la contamination est inévitable. De plus, une entreprise polluée doit assumer les coûts de la décontamination, risque la poursuite judiciaire pour infraction aux lois sur la propriété intellectuelle (brevets sur le vivant) et la perte de ses marchés.
L’étiquetage n’est donc que la pointe de l’iceberg, mais il s’agit néanmoins d’un enjeu politique majeur. La notion d’« acceptabilité sociale » ne servirait-elle alors qu’à occulter les vraies questions? Au lieu de discuter des enjeux liés à l’agriculture OGM qui menace la survie des agriculteurs (questions démocratiques, problèmes de financiarisation du vivant à travers les brevets, concentration des industries semencières, spéculation boursière sur les matières premières agricoles et spéculation foncière), on met plutôt l’accent sur les promesses de la biotechnologie pour le bien commun. L’idée est de rendre « acceptables » des pratiques qui vont à l’encontre de certaines de nos valeurs et d’anticiper ce que le public peut tolérer en matière d’alimentation. Mais comment négocier avec ce public l’admissibilité du risque? Ce calcul ne concerne pas les citoyens, ni d’ailleurs les agriculteurs, qui portent le fardeau écologique, sanitaire et économique. La contamination génétique serait-elle la stratégie ultime d’acceptabilité sociale des OGM?