Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les campagnes québécoises connaissent d’importantes mutations fonctionnelles. Le recensement de 1956 témoigne en effet du renversement de l’hégémonie de la fonction agricole dans l’espace rural. Pour la première fois, la population rurale non agricole dépassait en nombre la population vivant de l’agriculture. L’importance de ce phénomène ira généralement en s’amplifiant par la suite et finira par poser le problème de la « cohabitation harmonieuse » des usages agricoles et des usages non agricoles en milieu rural, comme l’a avantageusement formulé l’Union des producteurs agricoles (UPA) dans le contexte de la production porcine. Avec l’évolution démographique des années 1990 et le virage productiviste pris parallèlement par l’UPA en 1992, de plus en plus de citoyens et de groupes de la société civile ont revendiqué un droit de regard sur les activités agricoles. L’UPA, pour sa part, a continué à soutenir que seuls les véritables agriculteurs détiennent un droit de parole sur l’organisation de la vie rurale.
Cette situation contribuera à la multiplication des conflits et des tensions en matière d’affectation et d’usage de l’espace dans les campagnes québécoises. Dans ce contexte, les producteurs agricoles de l’UPA demanderont une protection de leur droit de produire, afin d’exclure toute forme de concurrence en termes d’usage du territoire. Cette protection leur sera accordée par la loi de 1996. Le concept de « droit de produire », tel qu’entériné par cette loi, n’ira cependant pas sans ambiguïté. Encore aujourd’hui, son contenu et ses contours continuent d’échapper à la compréhension sociologique. Car, s’il a été assimilé au « droit de polluer » de l’industrie par ses principaux détracteurs, cette première définition perceptuelle néglige une situation beaucoup plus complexe.