
Les pactes ruraux signés entre les municipalités régionales de comté (MRC) et le gouvernement du Québec depuis 2002 ont fait leurs preuves. Ils ont rendu possible la réalisation de centaines de projets locaux en milieu rural qui ont permis d’améliorer les équipements collectifs, de mettre en valeur des ressources locales, de maintenir ou de rétablir des services communautaires, de développer le sentiment d’appartenance et la concertation. On apprécie surtout leur gestion décentralisée par l’intermédiaire des MRC et des centres locaux de développement (CLD), en lien avec des comités de développement locaux où collaborent citoyens et conseillers municipaux. Si ces pactes ne remplacent pas une vraie politique d’occupation du territoire, du moins, ils occupent les ruraux.
Depuis son lancement en décembre 2013, nous en sommes à la troisième mouture de la Politique nationale de la ruralité, laquelle est née d’un projet de Jacques Proulx, à Solidarité rurale du Québec (SRQ), qui rêvait de donner au monde rural une reconnaissance officielle et les moyens de mettre en valeur sa richesse propre. La politique comporte une nouvelle obligation pour toutes les instances gouvernementales de moduler leurs programmes en tenant compte des particularités du monde rural. Un Comité des partenaires de la ruralité, composé de représentants du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, de l’Union des municipalités du Québec, des CLD et de SRQ, en assure le suivi.
Cette nouvelle version de la politique s’étend sur dix ans (2014-2024) et comporte un budget de 470 millions, dont 340 millions pour les pactes ruraux (moyenne de 375 000 $ par MRC), 63 millions pour des pactes territoriaux portant sur des projets multifonctionnels et intersectoriels, 50 millions pour 155 agents ruraux et le reste pour la gestion et SRQ. La nouvelle politique insiste sur l’importance de développer, dans tous les projets, une approche territoriale, c’est-à-dire intersectorielle, multifonctionnelle et participative, dans le même sens que la Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires adoptée par les libéraux en 2011, laquelle mise sur la concertation et la modulation, mais qui s’est bien gardée d’aller vers une véritable décentralisation des pouvoirs et des budgets, encore moins vers la mise en place de véritables gouvernements territoriaux élus et responsables. En forçant, on peut dire que la nouvelle politique rurale s’oriente vers des pactes territoriaux et une démocratie territoriale, ce qui a au moins l’avantage de nous sortir du concept passablement fictif de ruralité, même si cela n’ajoute pas beaucoup de moyens réels aux régions périphériques.
Au-delà des apparences
Tout en admettant les bienfaits d’une telle politique, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que ce n’est qu’un bon programme de soutien aux communautés rurales les plus défavorisées et que les pactes ruraux tels que présentés ne peuvent tenir lieu d’une véritable politique de revalorisation des régions périphériques, de démocratie territoriale et de décentralisation des pouvoirs et des budgets.
Les documents gouvernementaux sur les régions et la ruralité adoptent une rhétorique souvent creuse qui ne recouvre, le plus souvent, rien de concret. La notion de ruralité se superpose inutilement à celle des régions, et l’opposition rural-urbain à la dynamique centre-périphérie qui décrit beaucoup mieux la réalité sociale et économique des territoires concernés. Le portrait du monde rural que trace la nouvelle politique va d’ailleurs dans ce sens.

Tout en admettant les bienfaits d’une telle politique, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que ce n’est qu’un bon programme de soutien aux communautés rurales les plus défavorisées. Photo: Louis-Philippe Cusson
Les régions périphériques ont besoin de pouvoirs, de budgets, d’autonomie et d’imputabilité, pas de poésie ni de fantasme pastoral. Les ressources naturelles, qui sont leur gagne-pain, leur échappent presque totalement, de même que les grands réseaux de santé, d’éducation et de services sociaux. Les instances municipales et régionales sont réduites par Québec à un rôle administratif et forcées de rendre des comptes à Québec plutôt qu’à leur population. La mise en valeur des milieux de vie et des ressources locales par les citoyens eux-mêmes est nécessaire. La concertation et la modulation aussi, mais les leviers déterminants de la vie économique de ces régions reposent sur le contrôle des ressources naturelles et des services collectifs que devraient pouvoir exercer les dirigeants locaux et régionaux. Les pactes ruraux ne feront pas des régions des entités politiques ni de leurs instances de véritables gouvernements imputables à leur population et capables de planifier le développement de leur territoire à partir de ses ressources propres. Or sur ces deux enjeux majeurs, ressources naturelles et décentralisation politique, la Politique nationale de la ruralité demeure muette, tout comme le projet bidon adopté par les libéraux sous le titre trompeur de « Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires ».
Quant à Solidarité rurale, aujourd’hui présidée par l’agronome Claire Bolduc, on peut se demander si son statut d’instance-conseil auprès du gouvernement en matière de développement de la ruralité, et surtout le financement très exceptionnel (plus d’un million par année) que lui octroie le gouvernement, sont encore justifiés, puisqu’il s’agit, après tout, d’une coalition privée de partenaires institutionnels qui n’a pas de structure représentative à la base et qui a toujours refusé de s’intégrer aux réseaux citoyens. Son autorité morale a longtemps reposé sur la personnalité de Jacques Proulx, mais, aujourd’hui, sa crédibilité comme interprète du monde rural est discutable. Ses travaux sur les terroirs, le transport collectif, la forêt, l’école de village, les services de proximité et la décentralisation ont été fort utiles, mais désormais la Politique de la ruralité, son Comité des partenaires, les pactes ruraux et les agents de développement rural ont pris la relève sur le terrain et à l’intérieur des instances démocratiques légitimes.
Roméo Bouchard est l’auteur de Y a-t-il un avenir pour les régions? Un projet d’occupation du territoire, Éditions Écosociété, 2013, 224 p.