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Le bel avenir du passé?

Par Yann Fournis le 2014/01
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Le bel avenir du passé?

Par Yann Fournis le 2014/01

Le Canada devient insoutenable. Aligné à l’extérieur sur le néo-conservatisme américain (diplomatie musclée, sables bitumineux « éthiques »), il écarte dans la sphère domestique les processus de concertation ouverts aux acteurs sociaux et aux débats de fond. Nombre de dossiers majeurs pour le Québec portent l’empreinte d’une fermeture croissante à la participation (citoyenne, civile, territoriale), pourtant garante de la légitimité des choix collectifs : on assiste à la disparition d’une certaine conception du vivre-ensemble, dans le triangle développement économique – ressources naturelles – territoires périphériques. Selon un propos qui lui est souvent attribué avec quelque inexactitude, le premier ministre Mackenzie King relevait que, à l’inverse d’autres pays, le Canada a trop de géographie et pas assez d’histoire… Vraie dans une perspective économique de long terme, cette remarque doit être inversée en termes politiques pour saisir le rôle de l’héritage colonial dans la refondation actuelle du régime canadien.

L’économie des ressources naturelles : trop de géographie, pas assez d’histoire?

L’histoire du Canada s’est mariée avec un mode de développement visant à mettre en exploitation un espace démesuré et à forger une industrialisation ex nihilo. Dans ce développement par l’exploitation des ressources, le politique a d’abord pour fonction d’accompagner les grandes entreprises, condition à l’occupation de l’espace. Le paradoxe est donc tenace pour les territoires locaux : alors que les ressources naturelles sont par définition inséparables de l’espace, les communautés locales ont longtemps été exclues de leur gestion. Historiquement majeure au Canada, la logique de développement des ressources premières (staples) a toujours été défavorable au territoire et à ses acteurs : si les ressources naturelles appartiennent théoriquement à l’État, elles ont été pratiquement concédées aux grandes entreprises qui, en échange, rétribuaient les dites « régions-ressources » par des retombées multiples (salaires, contributions, etc.). La révolution tranquille des provinces canadiennes changera finalement peu (ou moins qu’on l’a dit) cet état de fait : sanctuarisé par l’héritage juridique du colonialisme, ce modèle de développement s’est cristallisé dans des régimes de ressources (forestier, minier, électrique, agricole, etc.) qui, aujourd’hui encore, confèrent aux acteurs locaux un rôle de figurant dans un développement économique dont les premiers rôles reviennent aux réseaux resserrés des administrations et des grandes entreprises. Les politiques fédérales actuelles incarnent, dans ce contexte, une sorte de contre-révolution tranquille qui réaffirme ces intérêts dominants de l’histoire du Canada, sous la forme contemporaine de mégaprojets d’exploitation intensive des ressources. Après le pillage des forêts au XIXe siècle, l’on ne devrait pas s’étonner de l’exploitation des sables bitumineux… mais bien de sa contestation, qui constitue peut-être la réelle nouveauté de l’époque.

La politique des ressources naturelles : trop d’histoire, pas assez de géographie?

Ce modèle de développement apparaît désormais insoutenable dans nombre de ses dimensions (économiques, politiques, écologiques, sociales, etc.). Il y a là, dans une certaine mesure, la réaffirmation de l’espace face à l’histoire (de l’industrialisation canadienne), ou tout au moins la contestation du legs politique, administratif et économique issu de la colonisation. Déjà entamé par l’affirmation de l’État durant la Révolution tranquille, le développement lié aux principales ressources (staples) s’avère de plus en plus difficile : une ère nouvelle du développement (post-staples?) s’ouvrirait, où l’exploitation des ressources serait plus complexe, dans ses diverses composantes : ressources, technologies, modes d’exploitation, spatialités, etc. Cette remise en cause pourrait conférer aux territoires un rôle nouveau, sur fond d’épuisement de l’échange inégal historique entre les grandes entreprises et les espaces locaux d’une part et d’émergences territoriales, politiques et démocratiques d’autre part. Certaines analyses rappellent que, simultanément à l’essor de l’« économie de la connaissance » (forcément urbaine, semble-t-il), les territoires ruraux seront le creuset de l’invention d’un modèle hybride naissant de la rencontre entre « nouvelle » économie de la connaissance et « vieille » économie des ressources.

Mais cette transition de l’économie canadienne sera conflictuelle, parce qu’elle bouscule la délégation traditionnelle du développement au réseau de l’État et des grandes entreprises. Là est peut-être l’enjeu territorial de ce regain politique autour des ressources naturelles : des acteurs diversifiés (communautés autochtones et locales, environnementalistes, élus et habitants, etc.) instaurent un espace de dialogue, qui pourrait bien esquisser les pistes d’un partage de l’histoire et de la géographie – n’est-ce pas la base d’un projet collectif?

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