Je ne serai pas devant le petit écran à regarder les Jeux de Sotchi : avalanche de drapeaux, d’hymnes nationaux, d’analyses insipides et de reprises ad nauseam. Le festival de la redondance, non merci!
Oui je sais, ce sera spectaculaire. Les athlètes s’y défoncent, leurs parents ont fait d’énormes sacrifices, les états hôtes investissent des sommes faramineuses pour nous éblouir et les médias nous en mettront plein la vue. Un grand divertissement pour le bon peuple.
Je refuse ce modèle de performance où une fraction de seconde sépare les gagnants des perdants, avec l’idée sous-jacente que, pour avoir de la valeur, il faut être le meilleur. Il y a déjà assez de compétition, de survalorisation de la performance dans ce bas monde.
Et la vie après les Olympiques pour les athlètes? Qu’est-ce qui arrive ensuite quand on a atteint le sommet dans la jeune vingtaine et qu’on s’est fait dire pendant des années que la seule chose qui compte dans la vie est de gagner?
Le grand concert des nations. Le tsar Poutine a gracié quelques prisonniers politiques pour faire bonne figure, mais son régime ne tolère ni l’opposition, ni la critique, ni l’homosexualité. Pas question de boycottage. On n’a qu’à se boucher le nez, une bonne vieille tradition olympique. En 1936, le régime nazi profitait de l’occasion pour endormir l’opinion en diffusant une fausse image d’une Allemagne pacifique, mais la persécution des Juifs reprendra de plus belle dès les jeux terminés. Si les « nations » avaient boycotté les jeux de Berlin, Hitler aurait peut-être eu quelque hésitation avant d’envahir la Pologne. En 2008, la Chine a préféré des gradins vides plutôt que de risquer la moindre manifestation protibétaine, et les visas n’ont été accordés qu’au compte-gouttes, si bien qu’il y avait moins d’étrangers que d’ordinaire à Pékin si on exclut athlètes, journalistes et officiels. Chez nous, en 1976, le maire Drapeau donna l’ordre de démanteler en pleine nuit l’exposition Corridart, qu’il qualifiait de « pollution visuelle », parce que certaines de ces œuvres d’art contemporain osaient critiquer la démolition d’édifices patrimoniaux. Les œuvres seront remisées ou carrément détruites.
Tout ça pour le prestige. Image de pouvoir. Pouvoir de l’image. Et tout ce qui dépasse doit être gommé. « Citius, Altius, Fortius » (plus vite, plus haut, plus fort) ne m’apparaît pas comme un idéal à atteindre, mais plutôt comme une maladie dont on doit guérir.
Toujours plus. L’insatiabilité de l’humain fait de nous des consommateurs qui ont maintenant besoin d’une planète et demie pour s’épanouir; elle a généré la financiarisation de l’économie qui consiste à faire de l’argent avec de l’argent (fictif) sans produire quoi que ce soit, pour des profits toujours plus élevés engrangés par ce 1 % d’ultrariches. Si vous avez envie de voir ce que peut donner l’insatiabilité dans ce qui il y a de plus décadent, je vous recommande le film frénétique de Scorsese, Le loup de Wall Street (tiré d’une biographie!), où de petits escrocs se vautrent dans l’argent, le sexe et la drogue jusqu’à outrance grâce à la crédulité de gens ordinaires qui perdent tout sens critique devant la perspective de gagner de l’argent facilement.
Le réel dépassement, ce serait de dépasser les instincts primaires. Mettre un frein à cet appétit du toujours plus. Viser le juste milieu. Se suffire de ce qui est suffisant. Voilà l’exploit à accomplir pour la santé de notre planète et la nôtre. Rien de spectaculaire, mais un devoir d’humanité.
Certes nous avons besoin d’admirer des gens plus grands que nature de par leur courage et leur détermination. Les héros de la trempe d’un Mandela sont rares, mais il y a quelques champions comme Edward Snowden ou Julian Assange qui osent confronter les puissants. Il y a la mairesse de Mégantic, Mylène Paquette, et tous ces marathoniens de l’ombre, les aidants naturels.
Aux jeux d’hiver, le Canada récolte toujours quelques médailles et le spectacle voudra vous faire croire que vous avez gagné si, sur le podium, flotte le drapeau canadien et retentit l’hymne national; mais avant de verser une petite larme d’émotion, posez-vous la question : êtes-vous vraiment fiers du Canada que Harper a façonné ces dernières années? Parce que dans ce grand show, les meilleurs acteurs, ça pourrait bien être vous!