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Un barrage contre l’intégrisme

Par Pierre Landry le 2013/11
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Un barrage contre l’intégrisme

Par Pierre Landry le 2013/11

J’ai déjà fait partie d’un groupe musical il y a de cela plusieurs millions d’années. Nous sortions d’une période de grande noirceur. À peine quelques décennies avant que nous eussions commencé à proférer nos insanités sur scène, les femmes n’avaient pas droit de vote, l’Église qui régentait tous les aspects de la vie les obligeait à avoir un enfant tous les ans, qu’elles soient en mesure de le porter ou non. Elles étaient considérées comme des mineures, ne pouvaient signer de chèques ou contracter d’emprunts bancaires. La plupart d’entre elles restaient à la maison pour prendre soin des enfants, faire les repas, la vaisselle, le ménage, le lavage, mais elles ne « travaillaient » pas. Dans les grands livres qui faisaient autorité, on a longtemps enseigné que le pater familias était roi et maître et qu’il avait même droit de vie et de mort sur son épouse.

Notre groupe s’appelait le RCM Pizza Freak Band et heureusement notre génération s’employait à coup de hauts cris, de minijupes et de pilules contraceptives à déboulonner tous ces mythes de l’ancien temps qui confinaient la femme à un statut de servante du Dieu mâle. Personnellement, nous les préférions de beaucoup totalement libres, belles, extravagantes, les cheveux au vent, en pleine possession de leurs moyens.

Imaginez notre société aujourd’hui si elles n’avaient pas investi avec tant de brio et d’aplomb toutes les sphères de l’activité humaine ! Nous nous retrouverions encore comme une bande de tarés, englués dans notre mâlitude débile à boire notre grosse Dow tablette entre nous à la taverne, véritables figures de brou aux allures antédiluviennes ( je revois ma blonde dans un salon de thé ou une salle de cinéma, quelque part au Maghreb, seule femme à bord, avec ces yeux chargés d’un mélange de concupiscence et de haine glaciale braqués sur elle).

Je ne sais quel qualificatif on pourrait donner aujourd’hui à la (dé)formation musicale au sein de laquelle nous n’évoluions pas. Certes nous formions une sorte d’avant-garde pour l’époque, mais peu importe les prétentions qu’on peut chercher à se prêter, il y a toujours des précurseurs qui ont battu les sentiers avant nous. Dans notre cas, Dada et les surréalistes avaient laissé des traces, et la mouvance contestatrice américaine (Zappa, Captain Beefheart, les Yuppies, etc.) nous proposait des modèles éloquents. Poème récité dans un tuyau de poêle, bol de toilette à l’avant-scène, french kiss partagé avec un mignon chien saucisse, guitare discordante plaqué sur une cantate de Bach jouant à la radio, il n’y avait pas grand-chose à notre épreuve. Nous vouions de plus un culte immodéré à Bacchus et adorions bien d’autres dieux que l’Islam réprouverait sans ambages.

Mais il y avait un hic, plusieurs hics même : un de nos alcooliques, membre du groupe, ne supportait pas la boisson. À peine avait-il ingurgité une goutte que notre brave Jekyll se transformait illico en un hideux Hyde. Problème. Surtout quinze minutes avant de monter sur scène. On a beau agir comme de profonds débiles, il faut tout de même parvenir à livrer la marchandise, quelle que soit la qualité de la marchandise en question. Que faire ? Curieux à dire aujourd’hui, mais c’est la stricte vérité : nous nous sommes donné une charte, la charte de la RCM Pizza Freak Band. Et ce, à cause d’une seule personne. Article un : il est défendu de boire six heures avant un spectacle… (tous les autres le faisaient en cachette).

C’est bien pour dire… Et notre malheureux comparse n’a malheureusement pas été en mesure de s’y astreindre. Il s’est finalement résolu à quitter le groupe. Et nous sommes tout de même demeurés de bons amis (tant qu’il était à jeun).

(Mon rédacteur en chef va être content, j’ai réussi à ficeler tout ça en moins de 600 mots. Vous avez remarqué qu’on m’a tassé un tout petit peu plus contre la marge ? Ma colonne se rétrécit, tout comme mon espérance de vie. On n’en fera pas un drame.)

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