En réfléchissant à cet éditorial que je voulais dédier au plaisir de lire, j’ai entendu cette phrase : « Lire est une perte de temps. » Difficile de comprendre qu’encore aujourd’hui, dans une société dite du savoir, de la connaissance, de l’accès facilité à l’information et, en principe, dans une société de loisirs, une telle mentalité survive. Mais oui, ça existe. Pour certains, lire semble inutile, pour d’autres, c’est une réelle difficulté. Pour le comprendre, il faut se rappeler les statistiques sur l’analphabétisme au Québec. Statistique Canada révélait en 2005 que 49 % des Québécois étaient analphabètes. Il faut évidemment nuancer les choses. La plupart de ces personnes éprouvent des difficultés de lecture, mais 16 % d’entre elles ne savent carrément pas lire. Alarmant, désolant ou constat d’échec d’une société ou de son système d’éducation ?
Il serait facile de jeter la pierre aux penseurs du ministère de l’Éducation qui tentent, année après année, de garder les jeunes à l’école en allant jusqu’à modifier les programmes d’enseignement de certaines matières au profit du développement des « compétences transversales ». Le « renouveau pédagogique » qui a cours depuis le début des années 2000 est le parfait bouc émissaire. Cette réforme vise à réduire le décrochage scolaire en intégrant la théorie à la pratique. Elle propose aux élèves de développer leurs connaissances à travers la réalisation de projets. Mais les résultats montrent un échec probant. En 2009, 28 % des commissions scolaires du Québec affichaient un taux de décrochage supérieur à ce qu’il était en 1999. Les régions de Montréal, une partie de l’Outaouais et les Laurentides sont particulièrement touchées avec un taux d’abandon dépassant les 30 %.
Mais le problème semble encore plus complexe. Pour apprendre à lire et apprécier tous les aspects d’une langue, il faut d’abord en avoir la chance. Des 16 % d’analphabètes québécois, combien ont dû, malgré eux, quitter l’école, en raison de la pauvreté ? Concept d’une autre époque ? En 2008, le tiers des jeunes qui ont décroché l’ont fait pour aller travailler (pour aider leurs parents ou pour quitter le nid familial pour différentes raisons, dont la pauvreté extrême).
À la pauvreté matérielle s’ajoute la pauvreté intellectuelle. C’est une vérité de La Palisse, les parents qui ne savent pas lire ou qui lisent peu sont peu enclins à encourager leurs enfants à le faire.
Et aujourd’hui, pourquoi les jeunes prendraient un livre ? Tellement de sources de distraction sont disponibles. Si lire, c’est voyager pour certains, il y a d’autres moyens de quitter la réalité l’espace d’un instant. Et le problème est bien connu, les paradis artificiels que sont Facebook et tous les réseaux sociaux ne sont généralement pas des exemples de bonnes moeurs littéraires ou orthographiques. On peut dire que l’essentiel, c’est de lire, peu importe le support. Peut-être. Il est simplement trop tôt pour mesurer les dommages que causera cette ère du « texto ».
Enfin, ce n’est certainement pas en abolissant le programme Arts et lettres au collégial, comme l’a fait le gouvernement Marois au printemps dernier, que les choses vont s’améliorer. La littérature, c’est la culture, c’est l’histoire d’un peuple à travers les yeux de témoins idéalistes, de rêveurs. Rêver, c’est le premier pas vers le changement. Rêvons ensemble un instant : pourquoi ne pas mettre des extraits de nouvelles, de romans à l’endos des boîtes de céréales ? Cet endos est souvent le premier contact avec la lecture pour les jeunes, non ? Joindre l’utile à l’agréable : lire et apprendre en mangeant. Lire ne sera donc jamais une perte de temps, comme disait l’autre !