
« Combien ça coûte ? Combien ça rapporte ? » Le système socio-économique dans lequel nous vivons est ainsi fait que quantité de gens perçoivent le monde en fonction de leur pouvoir d’achat, de leurs profits, des dépenses qu’ils ont à faire ou en fonction de tout ce qu’ils ne peuvent pas encore s’offrir. On ne peut pas les blâmer, mais il appert que considérer la vie essentiellement à travers le prisme de l’économie est pour le moins lacunaire.
Quelle est la plus petite unité indivisible pouvant servir à décrire l’humain ? La personne elle-même, bien sûr, autour de laquelle tout semble tourner en cette ère individualiste. En prenant du recul, on comprend que cet individu vit au sein de maints ensembles beaucoup plus grands que lui. Autour de ces « je » se trouvent d’abord des familles, des communautés et des sociétés, jusqu’à l’humanité entière et la biosphère d’où elle a émergé. Ainsi, l’individu est tributaire d’une nature plurielle ; il ne pourrait pas même exister s’il n’y avait pas, d’abord, « tout le reste ».
À travers les découvertes scientifiques qui nous éclairent sur notre condition, nous constatons que l’être humain est apparu grâce à un ensemble de processus que nous nommons « évolution » et qu’il s’est peu à peu élevé au-dessus de la mêlée en s’extirpant de l’inconscience. Mais l’espèce humaine s’est aussi progressivement cloisonnée à l’intérieur de sociétés qui sont, entre autres, fondées sur une prémisse douteuse et discutable : leur apparente supériorité sur les autres espèces perçues comme inférieures, négligeables, et même, dans certains cas, comme nuisibles, alors que, dans les faits, elles jouent toutes un rôle dans le théâtre de la vie.
Notons qu’au cours des quelque trois milliards et demi d’années qui se sont écoulées depuis le début du déploiement de la vie sur Terre, aucune espèce n’a pu croître sans d’abord atteindre un plafond, pour ensuite décroître au profit d’un certain équilibre. Croyons-nous être à ce point différents que nous ne soyons pas régis par ce qui détermine invariablement le cours des événements depuis la nuit des temps ?
Notre subsistance dépend bien sûr des ressources que nous puisons dans l’environnement. Mais à quel prix, si nous ne le faisons pas avec plus de modération et dans une vision à long terme qui tienne compte de la fragilité des mécanismes naturels ?
Impossible à maintenir, la croissance infinie, concept à la base de notre économie, est une aberration que nous devrons tôt ou tard abandonner. Tout comme nous devrons apprendre à mieux évaluer nos besoins en cessant d’obéir aveuglément à nos innombrables désirs égocentriques. Pour l’instant, nous semblons oublier que si l’économie est une chose importante, elle n’est pas du tout nécessaire à la vie elle-même, alors que le contraire est indéniable.
Précisons que l’idée de décentrer l’humanité du « nombril universel » n’implique pas d’avoir à revenir à l’époque où nous devions cueillir des petits fruits et chasser le bison pour survivre. Chacun peut aisément comprendre ce que nous perdrions en rejetant en bloc les bienfaits de la modernité. Il ne s’agit donc pas d’envisager un retour en arrière draconien aussi rebutant qu’utopique, mais plutôt de travailler à une réorientation, individuelle et collective, qui inclurait, entre autres, des principes de modération et des moyens de production beaucoup moins polluants. Il faudrait même, ultimement, considérer sérieusement l’idée d’une transition vers une décroissance planifiée.
Nous n’avons certes pas à nous sentir coupables d’être nés et d’avoir grandi dans un monde qui donne la priorité au développement à très court terme. Mais il devient impératif que nous apprenions à nous responsabiliser pour les générations à venir.
Combien de temps encore donnerons-nous raison aux paroles de la chanson « Cash City », dans laquelle Luc De Larochellière chantait ironiquement : « Tout l’monde veut être une star, mais personne veut être une planète » ?