Tokyo est le titre du nouvel album du prolifique Joann Sfar, conjugué au mode SVP : sexe, violence et plaisir. Et il prend la forme d’une BD-roman-photo d’une vulgarité bien marquée !
C’est l’histoire d’un gars amoureux fou de Tokyo. Non pas de la ville, mais plutôt d’une actrice porno qui se fait sauter toutes les semaines à la télé. Elle est belle et rousse, elle a les yeux bleus, la peau foncée, elle est farouche avec son t-shirt et son short arborant des têtes de mort. Elle vit sur une île du Pacifique entourée de personnages insolites et loufoques : un lion vedette du rock, un tigre jouant du ukulélé et une banane OGM dénommée BGM (banane génétiquement modifiée), dont la pelure se voue, par plaisir, au sexe des femmes. Il y a même des créatures anthropophages. C’est une histoire cruelle et sauvage, une BD étonnante et débridée au style inusité, comme seul Sfar peut les faire. Ses adeptes y reconnaîtront d’ailleurs son trait un peu gauche, mais combien séduisant.
La putain Tokyo est représentée en photo par une comédienne dénommée Caroline, qui s’est prêtée aux poses érotiques que commandait le dessin. Il en est de même pour les quelques personnages féminins de la distribution, Juliette et Priscillia, auxquelles Sfar a tâché de rendre justice en les dépeignant plus grandes que nature, tant et tellement qu’il utilise la photographie plutôt que le dessin pour cerner leur idéalité. Elles et les autres protagonistes improbables jouent dans un récit pour adulte bordélique, caustique, choquant, coloré, décapant, échevelé, fébrile, osé, pervers, vitriolique. En somme, une putain de BD !
Maintenant, avouons qu’avec Tokyo, Sfar nous raconte n’importe quoi : de l’improvisation totale, puisée dans les tréfonds de ses méninges indomptées. Il ne se soucie plus de peaufiner une histoire, de respecter les normes de la BD ou de les renouveler. Conséquence principale : le récit est difficile à suivre et le lecteur s’y perdra assurément, notamment à cause des personnages peu différenciés. Sfar erre, se répète, s’embourbe à renfort de clichés : jeunes filles à poitrines généreuses, souteneurs aux gros revolvers, obsédé sexuel impuissant, monstres marins et félins à trois pattes qui, contrairement au reste des protagonistes, ont une queue et une tête.
Le plus surprenant dans cette histoire est que les 99 pages de Tokyo n’auront pas permis à son auteur d’en finir avec cette BD loufoque : un second tome est prévu ! Il n’est pas certain que son éditeur Dargaud aurait accepté de publier ce deuxième volume si Sfar n’était pas un auteur si connu.
À propos de Joann Sfar
Dès les années 1990, Sfar s’est avéré l’un des chefs de file d’une nouvelle génération d’auteurs qui constituait alors la « nouvelle BD ». Il fut l’un des piliers de la maison d’édition indépendante L’Association. À 41 ans, Sfar a déjà publié plus de 100 albums, dont Donjon, Grand vampire, Petit vampire, Petrus Barbygère, Socrate le demi-chien, Klezmer, L’ancien temps, Chagal en Russie, Le petit prince (une superbe adaptation) et, tout dernièrement, Les lumières de la France. Ce dernier titre nous plonge au Siècle des lumières, dans le luxe des nobles. Sfar s’y moque des bonnes consciences qui dénoncent le racisme tout en le reconduisant sans s’en rendre compte. L’artiste a également écrit des romans, des nouvelles et des livres d’art, et on lui doit deux films, primés aux Césars : Gainsbourg, vie héroïque et Le chat du rabbin.