Quand j’étais petit, il y avait, près de chez nous, une très grande épinette que nous, flos des rues Jacob et du Coteau, appelions « l’arbre magique ». Magique, parce qu’on pouvait facilement y grimper grâce à la disposition de ses nombreuses branches qui, solides et tout juste assez distancées les unes des autres, formaient quasiment un escalier. Nous avions, bien avant d’écouter Led Zeppelin, notre Stairway to Heaven à nous. Et ce n’est que la peur – et peut-être un peu la prudence – qui nous empêchait de nous rendre au sommet de l’arbre magique. Mais même de quelques mètres plus bas, nous pouvions déjà voir tout l’univers.
Gilles Roy était un arbre. Un arbre qui a permis à toute une population de s’élever et de voir plus loin. On ne met pas sur pied un grand mouvement populaire de résistance, de prise en charge et de développement du monde rural et, plus largement, régional, qu’on appelle Opérations Dignité, sans que cela marque à jamais l’histoire. Gilles Roy et ses compatriotes – car c’est bien ce qu’ils étaient, des patriotes, dans le sens le plus noble du terme – ont fait se lever et se rassembler les gens de villages qu’on voulait fermer parce que quelque part, dans des bureaux de Québec, quelques ronds-de-cuir avaient décrété, sur du papier à en-tête ministériel, qu’il n’était pas « rentable », administrativement parlant, de les maintenir ouverts.
Gilles Roy est l’un de ces hommes qui ont changé les Saint-en-arrière en Haut-Pays, ceux qui ont carrément créé et imposé un mot pour nommer ce monde différent, mais combien riche : la ruralité.
Gilles Roy était de la race de ceux qui ont le droit de s’indigner et de dire « non », chevillé au cœur et à l’âme. Gilles Roy était un arbre de dignité.
Un jour, le vieux monsieur qui avait construit sa maison tout près de notre arbre magique, tanné de voir les flos grimper dans leur tour d’observation, le mât de leur navire, leur escalier vers le ciel, fit couper toutes les branches du bas. Je nous vois encore, bras ballants et tête basse, pleurer devant ce crime contre l’humanité.
Gilles Roy n’a jamais perdu une branche et ne s’est jamais laissé abattre. La vie l’a quitté, mais il reste droit, la tête bien haute et bien enraciné. Bras ballants et tête basse, je m’incline devant cet arbre magique. Puis, j’y grimpe et je regarde l’univers devant moi aussi loin et d’aussi haut que ses branches me permettent de le faire.
Merci à vous, Monsieur Gilles Roy.