Actualité

Une critique sévère de la « gauche » américaine

Par Michel Lagacé le 2012/12
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Une critique sévère de la « gauche » américaine

Par Michel Lagacé le 2012/12

Un essai percutant, La mort de l’élite progressiste de l’auteur américain Chris Hedges, vient de paraître en français aux Éditions Lux1. Récipiendaire d’un prix Pulitzer et auteur, entre autres, de L’empire de l’illusion, le journaliste, reconnu pour ses analyses critiques de la société américaine dans la presse indépendante, propose dans cet ouvrage un ambitieux tour d’horizon démontrant la disparition de l’élite progressiste aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Selon l’analyse de l’auteur, cette élite de centre gauche, qu’elle soit intellectuelle, artistique ou politique, a depuis longtemps succombé à l’idéologie du progrès (technologie, accumulation de richesses, etc.). En « appuyant l’écrasement des mouvements réformistes », elle aurait renoncé à son rôle moral, et favorisé les grandes entreprises et le capitalisme sauvage.

Aux États-Unis, l’État-entreprise, qu’il soit démocrate ou républicain, n’aurait en effet plus à répondre à ses détracteurs progressistes quand il s’incline devant l’élite financière. Dans cette société de « politique-spectacle » entretenue par les médias de masse, Chris Hedges nous montre que même l’élite intellectuelle et progressiste « s’est mise à employer un vocabulaire puéril et des tournures simplistes propres aux médias commerciaux ». De la même façon, cette élite progressiste « a refusé de combattre le glissement de la démocratie américaine vers ce que Sheldon Wolin qualifie de totalitarisme inversé », soit « la maturité politique du pouvoir de la grande entreprise et la démobilisation politique des citoyens ». Contrairement au totalitarisme classique, ce régime, dont les protagonistes sont inconscients des conséquences profondes de leurs actes, fonctionnerait dans l’anonymat de l’État-entreprise.

De la Deuxième Guerre mondiale à aujourd’hui, cette analyse de la société américaine remet en perspective la résistance des élites progressistes, les grands moments de révolte apparaissant dès lors sous un autre jour alors que leurs héros auraient eux aussi succombé à la société de consommation, à la médiatisation tous azimuts et à la dictature du marché.

Hedges réfère à l’histoire de plusieurs nations afin de démontrer la responsabilité de l’élite progressiste dans la montée du totalitarisme : le nazisme en Allemagne, la propagande et la manipulation par la peur des bolchéviques russes et, plus près de nous, l’émergence d’un capitalisme totalitaire en Chine.

Du côté culturel, l’auteur dénonce certains préjugés contre l’art engagé et blâme les élites pour la dérive de l’art contemporain. Il poursuit sa charge en dénonçant l’art de masse, courant qu’il lie à une volonté de négation du goût individuel, voire de la conscience personnelle. Le divertissement se déguiserait en art avec la complicité des médias. Il cible aussi le collectivisme numérique (Internet) et son rejet du droit d’auteur, qui contribuerait à une disparition progressive de l’innovation. Ce courant aurait « soudainement oublié que les gens ont besoin d’être rémunérés pour leur travail ».

Selon Hedges, même les campagnes pour la diversité culturelle ou l’égalité des sexes témoignent de la faillite de l’élite progressiste et de l’avènement du totalitarisme inversé : ces événements médiatiques complaisants n’ébranleraient pas le système en place, ils auraient plutôt pour effet d’élargir le bassin de consommateurs. Plus encore, par sa complicité et son laisser-aller, l’élite progressiste apporterait son « soutien tacite à la destruction, par le capitalisme, des écosystèmes dont dépend la vie humaine ».

Il n’est donc pas étonnant de voir, en conclusion, l’auteur lancer un appel à la dissidence : « Même si l’État-entreprise cherche à nous inculquer l’indifférence au sort d’autrui et le culte de soi, nous devons poursuivre la lutte contre les mécanismes de la culture dominante, ne serait-ce que pour préserver, par de petits gestes, notre commune humanité. »

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1. Ce livre est d’abord paru en anglais en 2010 sous le titre Death of the Liberal Class.

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