Les camps sont bien délimités. D’un côté, une classe politique qui accueille sa nomination favorablement. De l’autre, des chroniqueurs culturels qui entretiennent le doute. Bref, la désignation de Maka Kotto au titre de ministre de la Culture et des Communications polarise. Portrait d’un homme dont on reconnaît cependant unanimement la verve et le charme.
Une pluie froide d’automne s’abat sur les vitres du bureau de Maka Kotto dans le Vieux-Port de Montréal. Bien calé dans son fauteuil, les coudes posés sur son bureau, le nouveau ministre de la Culture et des Communications réchauffe la pièce de sa voix profonde. Propulsé le mois dernier aux commandes d’un périlleux ministère, il rembobine pour Le Mouton NOIR le film de sa vie. Premier arrêt : le Cameroun, pays qui l’a vu naître.
C’est à Douala, derrière les portes d’un collège de jésuites, à travers la littérature, la musique et le théâtre que se tisse le lien privilégié qui le rattache à la culture. « Ça a ouvert chez moi une curiosité, qui m’a peut-être sauvé quelque part. Parce que ceux de ma condition sociale qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue sont restés sur le carreau », déclare M. Kotto.
Cette éducation humaniste lui a servi de tremplin. Affranchi des peurs qui avaient marqué ses parents, la tête de Maka est pleine de rêves et d’ambitions. « Au grand dam de mon père qui me voyait mandarin de l’État du Cameroun, moi, je me voyais artiste », poursuit-il un sourire aux lèvres.
« Pour ménager la susceptibilité » du paternel, le jeune Kotto s’inscrit en droit et en sciences politiques en France. Un curriculum classique derrière lui, il plonge enfin dans ce qui le passionne, le jeu et le cinéma. Il crée avec une bande d’amis une troupe de théâtre.
Artiste engagé
Le groupe monte des pièces, part en tournée à l’étranger, c’est l’effervescence. Nous sommes en 1980 et le Front national séduit la population de l’Hexagone. Face à cette montée en puissance de l’extrême droite, la troupe de Maka Kotto investit la scène politique en revendiquant une représentation équitable de la diversité dans le paysage audiovisuel en France. « Il fallait se battre contre cette sous-représentation des minorités. Je suis un batailleur, les curés m’ont élevé dans ce sens-là », explique Maka Kotto.
C’est au cœur de ce combat que Maka Kotto rencontre Dany Laferrière, jeune auteur haïtien établi au Québec, alors à la recherche d’acteurs pour un nouveau projet de film.
« Maka était quelque peu déprimé par la situation en France », se souvient M. Laferrière. L’écrivain l’invite donc à venir dans la Belle Province. « Je lui ai dit que le Québec était prêt à accueillir des gens aussi intéressants que lui. »
C’est le déclic pour l’artiste militant. « Dany me décrivait les Québécois comme des gens simples, ouverts, très chaleureux, accueillants. Il m’a dit : “En somme, ce sont comme des Noirs, mais chez eux, il neige beaucoup” », déclare le nouveau ministre dans un grand éclat de rire.
Attiré par cette terre promise, M. Kotto foule pour la première fois le sol québécois, apaisé. « J’ai desserré les poings. Et je me suis dit “c’est là” », raconte le ministre.
L’hybride
Maka Kotto s’intègre rapidement à la société québécoise. Il cumule les chapeaux : comédien, acteur, humoriste, écrivain, porte-parole de plusieurs organisations, avec, toujours en trame de fond, une réflexion politique en gestation.
Un rendez-vous avec son futur frère de pensée, le chef du Parti québécois (PQ) Bernard Landry, pousse Maka à faire le grand saut. « Très vite, Maka m’a demandé mon avis sur son éventuel engagement politique au sein du PQ, se rappelle l’ex-premier ministre. Je l’ai encouragé. J’étais ravi parce que la diversité culturelle au sein du Parti québécois, contrairement à ce que disent ses adversaires, est fondamentale. »
Après avoir essuyé une défaite en 2004 sous la bannière péquiste dans la circonscription de Viau, Maka Kotto se présente l’année suivante pour le Bloc québécois. La formation politique a le vent en poupe. M. Kotto profite de la vague et devient député de la circonscription de Saint-Lambert. Dès lors, il sera affecté au dossier du Patrimoine à Ottawa. En 2008, il quitte le Bloc et se présente pour le PQ dans la circonscription de Bourget qu’il représente depuis.
Le nouveau serviteur
La suite est connue. Le 4 septembre dernier, le PQ forme un nouveau gouvernement minoritaire. Quelques jours plus tard, Pauline Marois nomme Maka Kotto ministre de la Culture et des Communications, une fonction qu’il accepte avec humilité. « Quand on dit “Monsieur le Ministre”, ça m’agresse. Je me réconcilie avec ce titre en me répétant sans arrêt “serviteur”, “serviteur”, “serviteur”. Parce qu’un ministre, c’est ça », estime-t-il.
Le signal d’inclusion et de reconnaissance de la diversité culturelle qu’envoie Pauline Marois en désignant un Québécois d’origine camerounaise à ce ministère est fort. Maka Kotto en a conscience. « J’arrive avec cette distance qui me permet de reconnaître un diamant brut qui s’ignore et qui, muré dans son humilité, n’accepte pas qu’on lui dise “mais c’est magnifique ce que tu incarnes et ce que tu proposes” », lance-t-il dans un de ces élans lyriques qu’on lui connaît.
Le ministre est confiant dans le rayonnement de la culture québécoise. « Il y a un potentiel créatif qui est tellement énorme. J’ai tendance à dire que la valeur renouvelable la plus importante au Québec, ce sont ses créateurs », insiste-t-il.
Mais le dossier de la culture doit aller au-delà de l’image « romantique » et « poétique » qu’on s’en fait, rappelle Christine St-Pierre, ancienne titulaire du portefeuille chez les libéraux. « Il y a beaucoup de terre-à-terre. Aussi faut-il avoir au poste de pilotage un bon administrateur qui peut faire avancer les dossiers », souligne-t-elle.
C’est justement ici qu’il y a divergence d’opinions au sujet de Maka Kotto.
Choc des perceptions
« C’est un homme moral, honnête et loyal », assure Dany Laferrière. Un homme cordial, respectueux, éloquent, intelligent, ajoute Christine St-Pierre.
Si Maka Kotto semble dégager une force tranquille pour ceux qui l’ont fréquenté, il en va autrement pour les chroniqueurs culturels. Nathalie Petrowski de La Presse et Odile Tremblay du Devoir notamment sont sceptiques face à sa promotion. « Je comprends que Marois lui ait donné la Culture. Il avait ce dossier-là dans l’opposition. Et surtout, il est loyal envers la première ministre. Elle lui devait quelque chose », explique Odile Tremblay. La journaliste enchaîne : « On n’a rien contre le gars, il est charmant. Mais il a des preuves à faire, parce que dans l’opposition, il n’a pas fait grand-chose. On a peur qu’il traîne les pieds. En matière de culture au gouvernement, on a besoin d’un batailleur. »
Maka Kotto regrette que ses détracteurs ne se fient qu’à ses interventions jugées insuffisantes à l’Assemblée nationale. « C’est un peu court comme lecture, parce que la période de questions, c’est insignifiant. Ça dit ce que ça dit. C’est une période de questions. On n’obtient jamais de réponses », soupire-t-il. Pour mesurer ses capacités, Maka Kotto préfère qu’on évalue le travail accompli en Commission parlementaire et sur le terrain, dans sa circonscription. « Là-bas, on n’entend pas beaucoup de critiques », réplique-t-il.
Des défis de taille
Une chose est sûre, Maka Kotto devra jouer des coudes pour que le dossier de la culture demeure une priorité dans les hautes sphères. « Avec le contexte budgétaire dans lequel s’est placé le gouvernement Marois en abolissant la hausse des frais de scolarité entre autres, il faudra aller chercher de l’argent pour en injecter dans la Culture. Mais où ? », se questionne Christine St-Pierre.
Ces inquiétudes sont renforcées par les nombreuses promesses effectuées lors de la dernière campagne électorale par le PQ. Entre le rapatriement des pouvoirs du fédéral en matière de culture et de communication, l’augmentation du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec, l’injection de 8 millions de dollars à la SODEC, de 10 millions à Télé-Québec et la promesse de 5 millions pour financer les tournées internationales d’artistes québécois, il va falloir monter au front et convaincre le ministre des Finances et le président du Conseil du trésor de l’importance de ces postes de dépenses.
Surtout que les attentes dans le milieu sont grandes. « La culture doit être un point fort de ce règne péquiste, d’autant plus qu’ils veulent promouvoir leur option et qu’ils sont en redéfinition de leur identité », affirme Odile Tremblay.
Le rembobinage est terminé, la pression installée, les critiques postées. Attendons le prochain acte.