Un nouveau groupe s’est taillé une place sur la scène militante à Rimouski. Désirant agir au sein de la communauté et faire évoluer les mentalités, le Front de libération et d’information queer de Rimouski, communément appelé FLiQr, a promis de « réveiller » la population d’ici et d’ailleurs.
En choisissant de se réunir sous le vocable « queer », Rémy Bélanger de Beauport, enseignant de mathématiques au Cégep de Rimouski et l’un des instigateurs du projet, considère que le FliQr se démarque des regroupements LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels) plus conventionnels.
Incursion queer en territoire régional
Le mot « queer » signifie à l’origine « étrange », « bizarre ». Longtemps, l’expression a été utilisée comme une insulte envers les homosexuels. Ce n’est qu’en 1980, parallèlement à un mouvement de contestation des identités sexuelles, que le terme a été réapproprié. Aujourd’hui, « le mouvement queer est à la croisée des chemins entre le féminisme et les mouvements LGBT. Il emprunte aux féministes sa dimension politique et aux LGBT, sa lutte contre l’homophobie », explique Rémy Bélanger de Beauport. La revendication première de FLiQr s’appuie sur le rejet de la pensée binaire et l’affirmation de la complémentarité des genres. « Le mouvement queer prône une vision du monde beaucoup plus nuancée », avance-t-il, une vision qui résiste aux théories « essentialistes ». Le groupe milite pour une notion du genre libre de tout dogme, qu’il s’agisse d’hétéro ou d’homonormativité.
Le FLiQr fait figure de pionnier régional de la mouvance queer, courant habituellement circonscrit aux métropoles. Dany Proulx, agent de sensibilisation à l’homophobie au sein de l’organisme M.A.IN.S Bas-Saint-Laurent, voit l’apparition du groupe d’un très bon œil. « Plusieurs projets LGBT ont été élaborés dans le Bas-Saint-Laurent, mais ils sont rapidement morts dans l’œuf, faute d’implication à long terme et de ressources », commente-t-il.
Clivage ville/région
Il existe de grandes différences entre la réalité vécue par les homosexuels en région et celle vécue en ville. C’est ce qui explique en partie la migration des jeunes homosexuels vers les centres urbains où il est plus aisé de s’afficher : en région, le nombre restreint de lieux collectifs, cumulé à la faible densité de la population gaie ou lesbienne visible, limite en effet les espaces de socialisation. C’est sans compter « le manque de modèles homosexuels régionaux pour les jeunes qui se questionnent », ajoute Dany Proulx. À l’inverse, dans les grands centres, les jeunes vivent dans un milieu social capable de refléter et de valider leur identité sexuelle. « C’est un cercle vicieux », estime Rémy Bélanger de Beauport. « Si les homosexuels quittent la région, les préjugés, eux, auront tendance à rester. »
L’arrivée d’Internet a toutefois changé la donne. Pour le fondateur de FLiQr, qui a grandi avant la popularisation de la Toile, « être gai, à l’époque, c’était être Mado Lamotte. Comme je ne lui ressemblais pas du tout, je me disais que je n’étais pas gai ». Aujourd’hui, en plus de proposer une multitude de modèles, Internet est aussi devenu un outil de socialisation pour les homosexuels, facilitant ainsi la transmission d’informations et le réseautage.
N’empêche, « Internet, ce n’est pas la cour d’école », rappelle M. Bélanger de Beauport, pour qui les efforts de sensibilisation restent cruciaux. D’où la pertinence d’un regroupement comme FLiQr.
Lèche-vitrine mortel
La première action du groupe militant queer a été la réalisation d’une courte vidéo, conçue en collaboration avec M.A.IN.S Bas-Saint-Laurent, qui a été diffusée dans le cadre de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie le 17 mai dernier. Rémy Bélanger de Beauport a d’abord tenté de trouver des statistiques sur les homosexuels victimes de violence à Rimouski. Après avoir interpellé en vain la Sûreté du Québec et le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels à ce sujet, il en est venu à la conclusion qu’il était préférable d’aller directement sur le terrain pour documenter la question. « En vivant en couple à Rimouski, je me suis fait traiter de tapette, je me suis fait klaxonner, j’ai vu un ami se faire tabasser dans un bar. Ce sont des choses que l’on sait, que l’on vit, mais qui ne sont pas documentées », rapporte le jeune homme.
La petite équipe, armée d’une caméra cachée, a suivi un couple d’homosexuels à travers Rimouski afin de prendre sur le vif la réaction des gens. Verdict des auteurs ? « L’homophobie existe. Les regards et les commentaires captés dans la vidéo le prouvent. Cela dit, la vidéo montre également une ouverture des gens, une attitude qui tient davantage de la curiosité que du jugement », estime M. Bélanger de Beauport. Même son de cloche du côté de Dany Proulx : « Oui, il y a de l’homophobie, mais il y a également de la tolérance. »
La diffusion de la vidéo a par ailleurs généré une polémique. Malgré le flou apposé aux visages, certaines personnes se sont reconnues et n’ont pas apprécié de se faire catégoriser comme homophobes. M. Proulx précise qu’« il faut faire la différence entre les réactions de surprise et ce qui relève véritablement de l’homophobie ». Au terme de l’aventure, l’objectif est atteint. « On espère qu’avec cette vidéo-là, il y aura de vraies études sociologiques qui seront mises en œuvre », conclut Rémy Bélanger de Beauport. Et qu’un dialogue s’ouvrira…