Lors du dévoilement de la programmation 2012 des Concerts aux Îles du Bic, en mai dernier, le directeur artistique de l’événement, Mathieu Gaudet, nous a livré en avant-première les couleurs de la 11e édition qui se tiendra du 8 au 12 août et qui rassemblera une trentaine de musiciens. Nous avons profité de l’occasion pour lui poser quelques questions sur ses choix artistiques et sur les liens qu’entretiennent l’art et le politique.
Lors de la conférence de presse, vous avez évoqué la question du positionnement des musiciens classiques dans le contexte engagé que vit actuellement le Québec. Selon vous, quel est le lien entre art et politique ? Comment passe-t-on de la musique de chambre à l’engagement dans la société ?
Mathieu Gaudet – Quand j’étais à Toronto au début des années 2000 et que j’étudiais en musique, j’allais pratiquer, puis je revenais et je me couchais ; il n’y avait pas grand-chose d’autre dans ma vie que le piano. Je sentais vaguement qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas, j’étais déconnecté des enjeux graves qui se passaient dans la société et qui nous affectent, qu’on le veuille ou non, que ce soit la nourriture qu’on mange, l’air qu’on respire, les gens qu’on côtoie. La lecture de No logo : la tyrannie des marques1 de Naomi Klein m’a absolument renversé. Elle dévoile les pratiques utilisées par les grandes marques pour s’imposer sur le marché – élimination des concurrents, maltraitance des employés –, mais plus que cela, comment les sociétés nous conditionnent à vouloir des marques pour s’identifier. On n’a pas le choix de s’engager. Ne pas s’engager dans la société, c’est faire le jeu des gens qui dominent le portrait économique de la société et c’est devenir leur complice, par omission d’engagement.
Concrètement, comment avez-vous concilié l’engagement et la musique dans le festival ?
M.G. – C’est très important pour moi de garder ce positionnement pour une certaine justice sociale. J’ai engagé Hugo Latulippe à venir faire une performance de textes lus. Hugo est un artiste, un cinéaste qui demeure à L’Isle-Verte pendant l’été et qui aime beaucoup la région. On organise aussi une table ronde avec Radio-Canada autour de Catherine Perrin et d’Hugo Latulippe sur la question c’est quoi être un artiste et être engagé ? Il y a aussi Emmanuel Vukovich, qui va jouer le Quatuor à cordes op. 59 n˚ 1 « Rasumovski » de Beethoven. C’est un fermier bio qui a passé des années à travailler pour avoir l’une des premières fermes bios au Québec. Il fait de l’agriculture avec un cheval, livre des paniers bios à Montréal et donne des concerts dans les granges. Pour lui, on ne peut pas séparer nos liens à la terre du reste de notre vie, incluant la musique.
Vous parlez aussi de démocratiser la musique classique. Est-ce tenter de rejoindre le plus de gens possible dans différents contextes, dans différents lieux ?
M.G. – Oui, souvent, les gens sont intimidés. Nous, on ne s’en rend plus compte parce que c’est notre monde. Ils pensent qu’ils ne connaissent pas ça, que ça doit coûter cher, que c’est compliqué de se déplacer. On a un volet communautaire très important qui va se bonifier cette année avec deux duos de la relève au lieu d’un seul, deux duos très mobiles, entre autres le duo de guitares qui peut se déplacer facilement. Le but est de rayonner dans toute la région pour que tout le monde puisse en profiter. Que ce soit une fête de la musique pour tous.
Quelles sont les valeurs qui ont guidé vos choix artistiques pendant toute la préparation du festival ?
M.G. – Intensité et honnêteté. Dans le sens où dans toute la programmation, ma préoccupation principale était de partager le bonheur que nous, les musiciens et moi en particulier, nous vivons en jouant de la musique. J’ai toujours cherché à inviter des gens et des pièces qui résonnaient pour moi. Jamais je ne me suis résolu à prendre quelque chose pour remplir un trou. Chaque pièce a une signification, une place particulière.
Durant le festival, les musiciens vont travailler ensemble. Cela suppose l’envie de partager, de dialoguer. Ça va à l’encontre des idées reçues.
M.G. – C’est un festival du lien, de la rencontre. D’abord parce que c’est de la musique de chambre, mais aussi parce que les musiciens vont non seulement jouer mais vivre ensemble pendant sept jours. Ils partent ensemble le soir, un peu comme dans un camp de vacances. Ils ne dorment pas à l’Hôtel Rimouski, ils sont logés au presbytère du Bic où ils pratiquent leurs pièces et peuvent entendre celles des autres à travers les murs. Après les représentations, les gens viennent nous saluer et ils nous partagent leurs impressions. Les musiciens qui sont présents sont des gens qui savent travailler en équipe, qui sont enthousiastes, qui ont une belle personnalité. C’est vraiment tout l’opposé du musicien qui vient faire sa performance, puis qui s’en va.
Extraits d’une entrevue réalisée le 11 mars 2012. Pour connaître la programmation complète des Concerts aux Îles du Bic, nous vous invitons à consulter le site bicmusique.com.
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1. Naomi Klein, No Logo : la tyrannie des marques, Babel, 2003, 743 p. Voir aussi La stratégie du choc, Leméac/Actes sud, 2008, 668 p.