Ils sont encore quelques-uns à construire des bateaux de manière artisanale et traditionnelle au Québec. Des amateurs, artisans de métier ou d’habitude, qui, dans le Bas-du-Fleuve et ailleurs dans le pays, mettent la main aux bois, aux résines et aux rabots pour construire ou réparer des navires destinés à la navigation sportive, de plaisance, d’aventure, comme à la pêche et à la chasse. Leurs pratiques participent encore parfois à une économie de subsistance, et à de petits et grands commerces.
L’hiver dernier, à Saint-Yvon, en Gaspésie, Jean-Baptiste Caron et Gaston Poirier ont bâti un « flat » de 18 pieds destiné à la pêche côtière : une pratique sapée par les politiques nationales telles que celles dont le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) a été le relais dans les années 1960 et 1970. Les personnes curieuses appréciant l’approche critique documentaire aimeront le film Une installation à disposer… Saint-Yvon de François Brault (1983), narré par la voix chaude de Michel Garneau. Le cinéaste y pose un regard critique sur les processus de mécanisation, de délocalisation et d’urbanisation qui ont contribué à rayer de la carte la pêche artisanale. Ces processus ont été conduits unilatéralement par les gouvernements, sans considération pour les rationalités, les natures et les potentiels propres aux pratiques artisanales.
Quant à eux, Jean-Baptiste et Gaston jonglent toujours avec des savoir-faire d’une tradition ancestrale. Ils fréquentent encore l’habitat de quelques oiseaux, mammifères et poissons aimant eux aussi les côtes et le large du golfe qu’ils voisinent. Pour leur plus récent chantier, tout le bois a été choisi dans les forêts des environs du village : du cèdre et du bouleau, quelques courbes. Les pièces ont été sciées, taillées, ajustées et agencées tout près ou sur place dans un modeste atelier. Un travail sensible et de précision, entièrement manuel, à travers lequel on perçoit les rapports intimes qu’ils entretiennent avec les lieux de la mer et les territoires de la terre environnante.
Malgré la beauté et les qualités spécifiques des bateaux faits de bois, la demande pour des constructions artisanales et traditionnelles est le fait d’exceptions. Les artisans travaillent donc la plupart du temps à des restaurations ou réparations, dans un esprit d’apprentissage continu : des pratiques souvent ardues, car elles exigent un travail de déconstruction, puis de reconstruction impliquant la conservation de pièces et composantes de structures anciennes. Une excellente mais périlleuse façon d’apprendre dans un monde riche en innovations et variétés. Il y aurait, selon la plupart des artisans, un modèle de bateau pour chaque personne, usage et mer !
Pour les personnes motivées, quelques noms d’artisans, professionnels ou amateurs, actifs dans le Bas-du-Fleuve et dans les environs : Alain Drapeau, François Leblanc et Louis Michaud à Rimouski, Daniel Saint-Pierre et Pierre-Luc Morin au Bic, Ghislain Pouliot à Saint-Vallier-de-Bellechasse, Louis Boucher à Saint-Joseph-de-Lepage, Paul Lévesque à Trois-Pistoles, Jean-Baptiste Caron à Saint-Yvon. Artisans, réparateurs et constructeurs, souvent aussi charpentiers, menuisiers ou ébénistes, ils sont des trésors vivants. Fabricants de pièces uniques, vous devinez qu’ils peuvent être de bons conseils si vous avez un projet. Certains offrent des mentorats et donnent des ateliers.
Dans le contexte écologico-politique actuel, on peut espérer aux horizons et au large du Québec maritime un retour « à l’abordage » des traditions et pratiques artisanales qui soit le siège d’alliances singulières entre le marin et le monde. On compte actuellement sur la bonne volonté de ceux-là dont les pratiques résistent, actualisant un monde en marge, voire marginalisé ou tout simplement oublié, pour que celles-ci aient un futur. Aucune politique publique au Québec n’est garante de la mise en œuvre et de la transmission des savoir-faire ancestraux et de l’histoire vivante des mondes associés à ces patrimoines culturels locaux, nationaux et mondiaux. La nouvelle loi québécoise sur le patrimoine culturel n’est toujours qu’un bateau de papier.
Louvoyant de bouche à oreille entre les villages, marchant avec les rivages, chez l’habitant et sur les quais, vous aurez peut-être la chance de rencontrer pareils trésors d’expérience et de volonté.