En 1972, en réaction au projet du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) de fermeture de paroisses marginales, une troisième vague des Opérations Dignité prenait naissance dans l’église des Méchins. C’est au même endroit, 40 ans plus tard, que la municipalité de 1200 âmes célèbre sa fierté d’exister. Portrait d’une communauté dite dévitalisée, mais déterminée à faire rayonner son dynamisme.
La municipalité de Saint-Clément, dans Les Basques, passe cette année le flambeau aux Méchins, qui devient ainsi le 7e village honoré dans le cadre de la Journée de la résistance. À l’initiative du Centre de mise en valeur des Opérations Dignité, la journée du 24 mai a en effet été désignée pour souligner chaque année la vitalité des collectivités rurales et rappeler à nos mémoires la mobilisation citoyenne qui a freiné les projets de fermeture de nombreuses localités – n’épargnant pas toutefois celles de Saint-Thomas-de-Cherbourg et de Saint-Paulin-Dalibaire, fermées au début des années 1970 et intégrées depuis au territoire des Méchins, situé dans la MRC de Matane.
Pour Gilles Roy, leader des Opérations Dignité III alors qu’il était curé de la paroisse, la Journée de la résistance est une manière de réanimer la solidarité et le sentiment d’appartenance des ruraux. « Les Opérations Dignité sont peut-être passées, mais la résistance demeure dans nos villages », affirme-t-il, confiant.
En effet, 40 ans après, l’esprit de résistance des Opérations Dignité semble toujours habiter les résidents des Méchins. Une effervescence citoyenne flotte dans l’air salin cette année. Le jardin communautaire, un projet en branle depuis plusieurs mois, prend véritablement son envol avec l’arrivée des beaux jours et les premières pousses. Tout près de là, la municipalité a acquis des terrains qu’elle compte développer en un quartier résidentiel écologique. Puis, une entente avec sa voisine haute-gaspésienne, Cap-Chat, permet aux Méchinois de profiter des services d’une coordonnatrice des loisirs qui contribue à l’animation d’activités organisées par et pour le milieu. Et comme si ce n’était pas suffisant, une équipe de bénévoles se mobilise cet été pour accueillir l’équipe de l’émission La Petite Séduction, question de montrer au Québec entier que le village, même « dévitalisé », peut compter sur une population qui n’est pas prête à plier bagage.
D’ailleurs, la municipalité prévoit que la population demeurera stable en 2012 – rompant ainsi avec la tradition de l’exode, lot de plusieurs communautés rurales. Quelques jeunes, dont Kareen Fortin, une étudiante en droit originaire de la municipalité, y ont posé leurs pénates récemment et insufflent une énergie nouvelle. La jeune femme coordonne le projet d’écoquartier de la municipalité. « Ce projet touche des valeurs modernes, qui s’inscrivent dans l’esprit de la nouvelle génération », soutient-elle. « Nous n’avons pas besoin d’une dizaine de restaurants ou de bars pour être heureux. Un milieu de vie humain et une habitation en accord avec nos principes, que demander de plus ? »
Malgré l’optimisme ambiant, il convient toutefois de se montrer vigilant. Léonard Bélanger, un résident des Méchins qui était agent d’accueil pour le BAEQ au début des années 1970, rappelle que les conditions qui ont présidé au démantèlement planifié de la Gaspésie sont toujours réunies. « À l’époque, la péninsule était à l’agonie. Les grands travaux d’infrastructures à Montréal, dans la foulée de l’Exposition universelle de 1967, attiraient des masses d’ouvriers gaspésiens, ce qui vidait littéralement les rangs de leurs éléments les plus dynamiques », se remémore-t-il. Une situation qui n’est pas sans évoquer l’attrait des chantiers du Plan Nord à l’heure actuelle.
Si les fermetures planifiées sont terminées, il n’en demeure pas moins que la lente dévitalisation demeure une menace pour nombre de localités. « Avec une population vieillissante, le défi est plus important », soutient le maire du village, Jean-Sébastien Barriault. « Les petites municipalités cherchent toutes à retenir et à attirer les forces vives qui garantiront l’avenir de leur communauté. Certaines y parviendront, d’autres non. » Malgré les nombreux projets qui animent actuellement son village, le jeune élu de 32 ans est conscient que la partie est loin d’être gagnée. À l’école du village, la classe de niveau secondaire est menacée de disparaître. Et si les paysages et les grands espaces qu’offre la municipalité sont susceptibles d’attirer de nouveaux résidents, le défi de l’éloignement demeure, le village étant situé à 40 kilomètres du centre urbain le plus proche.
Pour dynamiser la communauté, Les Méchins prône un sage étapisme qui semble porter fruit. « Le projet de jardin communautaire a eu un effet de levier et, à partir de là, plusieurs petites initiatives ont émergé », observe le maire. Pour organiser une nouvelle résistance rurale, il convient selon lui d’offrir aux citoyens des possibilités de s’investir et de se réapproprier l’espace collectif. Mais tout ne se fait pas sans heurts. « Au départ, il y avait certaines résistances quant au projet de jardin écologique », souligne Léonard Bélanger, impliqué au sein de ce comité. Des membres ont pris le bâton du pèlerin et sont allés à la rencontre des citoyens plus réfractaires, pour leur expliquer de quoi il s’agissait. Peu à peu, le projet a fait ses preuves et la population s’est ralliée. Selon lui, « un petit projet qui mobilise, qui fonctionne et qui redonne confiance aux gens : il n’en faut pas plus pour que le vent tourne ».
Au cours de cette 7e Journée de la résistance, riche en échanges, les différents intervenants invités à venir discuter de l’avenir du monde rural ont constaté que l’esprit contestataire des années 1970 peine à reprendre racine aujourd’hui. La jeunesse, souvent porteuse de changement, délaisse les petites municipalités, ce qui explique en partie que la mobilisation et la résistance qui habitaient le village 40 ans plus tôt se fassent maintenant moins vives.
Mais pour plusieurs, la situation actuelle ravive un espoir. En ce printemps québécois, plusieurs arboraient le carré rouge dans l’église des Méchins. Le sentiment de grand réveil citoyen qui embrase la province trouve un écho ici. « Pour moi, le tintamarre, le mouvement qui a débuté grâce aux étudiants, c’est une Opération Dignité », conclut Léonard Bélanger. Reste à espérer que cette résistance puisse essaimer non seulement dans les centres urbains, mais également parmi les municipalités rurales qui ont bien besoin, elles aussi, d’une vaste prise de conscience collective.