Actualité

Rupture et continuité

Par Bénédicte Filippi le 2012/08
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Rupture et continuité

Par Bénédicte Filippi le 2012/08

Le 31 mai dernier, à Saint-Valérien, quelques dizaines de paroissiens se sont réunis en assemblée pour discuter du sort de leur église. En toile de fond de la rencontre, un conseil de Fabrique, à l’image de bien d’autres dans le diocèse de Rimouski, dans le rouge. Une proposition comme une planche de salut qui émerge : celle d’un partenariat entre la municipalité et la Fabrique. En clair : des conseillers de la ville prêts à préserver un lieu de culte et à assumer l’entretien du bâtiment en échange de l’installation de locaux destinés aux organismes communautaires dans l’église. Un scénario qui se popularise dans le Bas-du-fleuve, et pour cause.

Sacrée précarité

C’est devenu un lieu commun. Depuis la Révolution tranquille, le phénomène prend de l’ampleur. Les églises se vident. Aujourd’hui, seulement 10 % de la population québécoise serait pratiquante, selon les observations de Jacques Racine, professeur de théologie à l’Université Laval.

En parallèle, un désaveu marqué de la vocation sacerdotale aggrave la pénurie de main-d’œuvre déjà existante au sein des paroisses. Dans le Bas-du-Fleuve, « certains prêtres doivent servir sept à huit paroisses, ce qui signifie moins de messes célébrées et donc moins de revenus pour les fabriques », atteste Michel Lavoie, économe au diocèse de Rimouski. Concrètement, cela se traduit par une utilisation annuelle moyenne d’une cinquantaine d’heures de l’église. Les ressources financières diminuant, ce sont les ressources matérielles qui écopent, faute d’avoir été bien entretenues. Le vieillissement de la population achève d’assombrir le tableau, raréfiant la relève bénévole active au sein des paroisses.

Bref, l’Église québécoise va mal, entraînant avec elle ses paroisses qui voient leur avenir de plus en plus menacé. Ce diagnostic, ils étaient nombreux à l’avoir anticipé. En 2004, Michel Lavoie appelait déjà au passage « du cultuel au culturel », reconnaissant que les générations présentes avaient transformé leur rapport au sacré. Aujourd’hui, le « culturel » ne semble plus être garant de la survie du patrimoine religieux.

Gardiennes de mémoire

N’importe quel habitant ou touriste le dira, les églises qui émaillent l’Est du Québec participent à la beauté du paysage. Les clochers constituent des jalons le long des routes, véritables repères géographiques et identitaires. En milieu rural particulièrement, les églises ont une valeur toute singulière. Elles cimentent physiquement et socialement les villages, et ce, peu importe leur degré de déshérence. « Les gens, même s’ils ne pratiquent pas, restent attachés à leur église », confirme Michel Lavoie.

Après tout, comme l’établit Stéphane Pineault dans son mémoire sur les églises du Bas-du-Fleuve, ces monuments restent des lieux symboliques forts où les habitants convergent lors des rites de passage d’une vie. Dans le Bas-Saint-Laurent, les églises rappellent également des événements charnières de l’histoire régionale. Au début des années 1970, lors des Opérations Dignité, elles sont devenues les quartiers généraux d’un véritable mouvement de résistance rurale. Alors qu’un plan de relocalisation du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec menaçait de fermer 96 villages et communautés « non viables économiquement » et de déplacer près de 65 000 personnes vers de plus grandes agglomérations, les citoyens, sous l’impulsion des abbés de la région, se sont mobilisés. À force de solidarité et de créativité, les habitants ont proposé des solutions aux enjeux sociaux et économiques posés. L’église est alors devenue un terreau propice à la mise en œuvre d’un projet de développement.

Si le contexte n’est plus le même aujourd’hui, certaines communautés restent menacées par la disparition progressive de leur bureau de poste, de leur école, de leur épicerie, etc. L’église constitue alors souvent l’ultime rempart à la dissolution complète de la paroisse et de la communauté. Au vu et au su de cette dévitalisation amorcée, l’édifice peut devenir un levier de revitalisation.

Entrevoir la succession

« Si on ne fait rien, on s’en va vers un mur. Il y a urgence d’agir », presse Michel Lavoie, chiffres à l’appui. L’an passé, 48 des 105 paroisses du diocèse de Rimouski affichaient des déficits. Cette année, elles sont 70 en difficulté financière. Face à ce constat, même les subventions octroyées par le ministère de la Culture ne suffisent plus. Ces solutions « palliatives » ne font que repousser en partie un débat de société qui doit avoir lieu quant à l’usage des églises. Souvent taxé de pessimiste par certains paroissiens, M. Lavoie se dit réaliste et pragmatique. Le potentiel de développement que recèle une église est énorme et mérite d’être étudié.

La clé de la réussite d’un changement d’usage réussi réside dans la participation active de la communauté. « Il ne faut surtout pas brusquer la population en imposant un projet venu d’en haut, il faut l’impliquer. Le mot d’ordre, c’est d’informer, informer, informer », répète Michel Lavoie qui accompagne plusieurs communautés dans le processus de réutilisation de leur église. Même son de cloche du côté de la présidente du conseil de la Fabrique du Bic, Fernande Turcotte, qui souhaite faire de l’avenir de son église un projet inclusif. « Il faut aller au-delà des confessions religieuses. Qu’on soit protestant, catholique ou autre, tout le monde doit se sentir interpellé par l’avenir de son église. »

Selon Michel Lavoie, les meilleurs projets sont ceux qui obtiennent un fort consensus. À ce titre, il cite l’exemple de l’église de Saint-Jean-de-Dieu, dans la MRC des Basques. Malgré le peu de fidèles fréquentant l’église, les habitants ont manifesté leur volonté de la conserver. La bibliothèque municipale s’est ainsi installée dans une partie de l’église l’an passé, ce qui a permis de maximiser et de rentabiliser l’espace. À Saint-Elzéar comme à Saint-Cyprien, dans le Témiscouata, les édifices religieux accueilleront des locaux communautaires, tout en conservant un espace pour le culte.

Selon M. Lavoie, « trouver des nouvelles vocations à nos églises, couvents et chapelles est, en soi, une action de conservation de ce patrimoine ». Ce faisant, la communauté insuffle une seconde vie aux temples, tout en assurant la transmission des valeurs patrimoniales aux prochaines générations.

Ainsi, pour reprendre les mots du sociologue Fernand Dumond, « le patrimoine n’est pas un ensemble de monuments morts : il témoigne de la continuité d’un milieu humain ». C’est aux paroissiens, citoyens, Québécois, de se l’approprier et de le faire vibrer, encore.

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