J’aurai fait près de 17 ans, tout de même… Je n’aurais pas cru ça, si on me l’avait dit quand, en 1995, je fondais ce journal avec quelques autres irréductibles qui, comme le chante à peu près Brassens, voulaient suivre une autre route que les braves gens. Alors voilà, j’y suis : après 17 ans avec la même régularité de parution que ce journal, j’écris pour une dernière fois cette « chronique contemporaine de morsures à vif », le Stylo sauvage, un titre que j’aime beaucoup, « emprunté » à Claude Meunier dans Ding et Dong, le film, lorsqu’il est attaqué par un stylo, dans le bureau de l’éditeur. Ce n’est que quand j’ai revu ce film, quelques années plus tard, que j’ai réalisé qu’il s’agissait plutôt du « stylo venimeux ». Sauvage, dans le sens de libre et d’indompté, oui, mais venimeux, non. J’ai encore plus aimé le titre de ma chronique à partir de ce moment.
J’arrête ma chronique parce que, pour parler comme un golfeur, mais en français, je n’ai plus, comme avant, le coup de départ – oui, bon, c’est vrai que c’est plus clair en disant la drive ! Mais aussi, et surtout, parce que j’ai de plus en plus de difficulté à faire monter le plaisir de l’écrire. Et je m’étais toujours dit que le plaisir était essentiel dans cette chronique ; plaisir d’égratigner, de pointer du doigt, d’ironiser, de rigoler et de mordre, un plaisir que je crois avoir su partager avec mes lecteurs même si, et j’en suis fort aise, je ne faisais pas plaisir à ceux qui se trouvaient de l’autre côté de la ligne…
Je conclus cette belle aventure avec quelques mots sur ce que je considère comme le plus emballant projet culturel des 20 dernières années à Rimouski – ou disons, ex-æquo avec la construction d’une nouvelle salle de spectacle au centre-ville –, j’ai nommé la conversion d’une aile de l’ancien centre commercial La Grande Place, ce cercueil de briques, en complexe culturel moderne où se retrouveront une dizaine d’organismes artistiques, membres de la Coopérative Paradis. Je rêve déjà du nouveau souffle de dynamisme culturel qu’apportera Le Paradis à Rimouski, en complémentarité et en partenariat avec les acteurs culturels déjà en place, Spect’Art Rimouski – mon employeur, pour ceux qui ne le sauraient pas –, au premier plan.
Je rêve de ce nouveau dynamisme culturel dans un centre-ville revampé, qui donnera plus d’espace aux marcheurs et moins aux bagnoles, en amoindrissant, autant que faire se peut, la nuisance de la cicatrice d’asphalte qu’est le boulevard René-Lepage et en donnant une véritable vocation de parc à la Place des Anciens Combattants. Sans canons pointés vers le fleuve, la cathédrale et l’Institut maritime, s’il vous plaît.
Je rêve d’un centre-ville doté d’une politique d’art public n’étant pas l’apanage d’un seul artiste, veau d’or donnant, tant qu’à moi, un peu trop dans le réalisme de style soviétique.
Puis, je ferai plaisir à mon ami Bertin, qui m’a souvent demandé d’écrire sur un projet qui lui tient à cœur, mais dont personne, sauf erreur, n’a jamais parlé dans les voies officielles : faire de la Pointe à Santerre, dans le secteur de Rivière-Hâtée, au Bic, un parc public linéaire avec sentiers pédestres. Un tel projet serait un gros plus pour la préservation des espaces naturels de la région et il pourrait éviter des projets insensés de développement immobilier ou hôtelier comme celui, heureusement avorté, de la Pointe aux Anglais, à l’autre bout de cette pointe rocheuse, qui fit plusieurs fois la une du Mouton, de 1996 à 1998. Alors voilà, la graine est semée.
Depuis quelques années, un vent de droite souffle sur le Canada et menace de plus en plus le Québec. Le marasme est profond, mais NON, les jeux ne sont pas faits. Les dinosaures conservateurs mettent en place un Canada qui donne plus que jamais des raisons aux Québécois de vouloir un pays indépendant et distinct. Continuons le combat.
Tout peut changer très vite. Il y a moins de 20 ans, Rimouski était dirigée par un maire ultraréactionnaire qui gérait la ville, en décroissance, comme son entreprise privée ; aujourd’hui, le maire, Éric Forest – qui est mon ex-beau-frère, je l’écris avant que ne le fassent les commères de village en mal de ragots – et son équipe travaillent avec vision, dans un esprit de partenariat avec le milieu. Je leur signifie ici toute mon appréciation.
Et avec ce dernier Stylo sauvage, je veux surtout lever bien haut mon chapeau à la belle gang de jeunes qui ont pris la relève de ce Mouton NOIR pour lui apporter de quoi se mettre sous la dent à chaque numéro. J’ai eu la chance de vous rencontrer au dernier lancement du journal, pendant le Salon du livre de Rimouski, et j’ai éprouvé énormément de fierté à vous voir vous impliquer pour que notre Mouton continue à ne pas bêler comme les autres… Merci et bonne suite !
À celles et ceux qui ont lu cette chronique pendant toutes ces années, et surtout aux personnes qui me transmettaient leurs commentaires après sa parution – vous me donniez ainsi mon salaire – je dis un gros, un très très gros