Nos blogues

Ça sent 
l’esprit d’équipe…

Par Frédéric Deschenaux le 2012/01
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Ça sent 
l’esprit d’équipe…

Par Frédéric Deschenaux le 2012/01

Qu’est-ce qui est venu en premier, la victoire ou l’esprit d’équipe ? Pourquoi une équipe est-elle gagnante ? Parce que les joueurs qui la composent, direz-vous, font preuve d’un grand esprit d’équipe. Mais pourquoi ces joueurs font-ils preuve d’un grand esprit d’équipe ? Parce qu’ils gagnent. Nous nageons ici en plein paradoxe de l’œuf et de la poule.

Tous les journalistes sportifs vous le diront, l’esprit d’équipe est l’une des principales clefs du succès dans les sports collectifs. À l’instar du monde politique, la scène sportive comprend d’ailleurs un nombre sans cesse croissant de « belles-mères », ces anciens joueurs ou entraineurs recyclés dans la communication médiatique toujours prompts à commenter l’actualité et continuellement à la recherche du « cancer » qui empoisonne l’atmosphère dans le vestiaire. De nombreuses équipes construites à coup de millions, il faut en convenir, sont tombées en compote en fin de calendrier parce qu’elles comptaient parmi leurs rangs des « pommes pourries », parce que leurs vedettes se livraient à des jeux individuels, parce qu’aucun joueur n’acceptait d’aller dans les coins.

Cela dit, et quoi qu’on en dise, il n’y a pas de lien de nécessité entre victoire et esprit d’équipe. On sait que certains joueurs de la célèbre équipe de l’Armée rouge – celle qui une fois était prétendument « venue pour apprendre » – ne pouvaient se blairer dans la vie privée. Cela ne les empêchait pas de démontrer, sur la glace, une cohésion digne des Ballets Kiev ; un jeu collectif que l’Amérique n’avait connu jusque-là que lors des Gold rush. Il faut dire qu’à l’époque, en Union soviétique, un simple faux pas vous valait un procès pour haute trahison ou terrorisme et, dans le meilleur des cas, une occasion unique d’aller peaufiner votre bronzage dans les plaines sibériennes.

Comme le sport, la politique possède sa rhétorique de l’unité : la solidarité ministérielle et le respect de la ligne de parti. En politique, avoir l’esprit d’équipe, c’est savoir se taire, c’est avoir recours à la langue de bois pour éviter de mettre un collègue ou le gouvernement dans l’embarras, c’est accepter une décision à laquelle on s’oppose en réalité – un prêt généreux offert à une multinationale pour la construction d’un amphithéâtre par exemple. Les chefs de parti doivent constamment soumettre leur « leadership » au vote populaire lors des congrès et asseoir leur autorité sur le parti. Pour cette dernière tâche, ils s’entourent d’un whip, sorte de Père Fouettard dont la principale fonction est justement d’« assurer la discipline des députés du parti et de maintenir la cohésion et le moral du groupe » (Dictionnaire Antidote). Mais à trop forcer les doses, les manipulations de toutes sortes, la « chimie » peut vous éclater au visage. Parlez-en à Pauline Marois ! Dans le cas du Parti québécois, à force d’expulser des membres ou de voir certains d’entre eux quitter le navire, on se demande s’il restera assez d’équipe tout à l’heure pour avoir encore de l’esprit…

Le sport, n’avons-nous cessé de répéter dans cette chronique, est une métaphore de la société. Dans un monde postmoderne marqué par l’individualisme et la quête égoïste du bonheur matériel, l’idée même d’un sacrifice de soi parait surannée. L’histoire du sport, et l’Histoire tout court, nous rappellent pourtant l’importance de nous serrer les coudes pour les besoins de la cause. Qui ne ressent pas un petit tressaillement de l’épiderme devant les soldats qui risquent leur vie pour l’un de leurs frères d’armes, comme dans Il faut sauver le soldat Ryan ? Une manifestation d’esprit d’équipe à l’état pur où l’individu fait preuve de renoncement au service du groupe. N’éprouvez-vous pas un pareil frisson devant ces gros bonshommes qui se jettent aveuglément devant les tirs de l’adversaire en séries éliminatoires de la Coupe Stanley, ces millionnaires désabusés qui jouent gratuitement une fois la marche finale vers le précieux trophée entamé ? Vous iriez bosser, vous, pour l’honneur, durant presque deux mois ? Ce n’est pas de l’abnégation, ça ?

Est-ce nous ou nos sociétés semblent avoir perdu toute notion d’effort et d’intérêt collectifs ? On l’a vu lors de la dernière crise financière. Les gouvernements (c’est-à-dire nous) ont épongé le déficit des banques, mais dès que celles-ci ont renoué avec la rentabilité, elles ont manqué pour le moins d’esprit sportif en oubliant (hum, hum) de partager les profits. Collectivisation des pertes, privation des profits disent les experts. C’est comme pour le plan Nord : le gouvernement (encore nous) paie pour les routes et les infrastructures, et après nous avoir vanté les mérites d’une diète riche en minéraux, les compagnies vont nous laisser en carence de ressources naturelles et avec, en prime, une mauvaise mine. N’y a-t-il pas de quoi être nationalement indigné ?

Lorsqu’il est question de solidarité et de sacrifice, la phrase mythique des Trois Mousquetaires nous revient aussitôt en tête : Un pour tous, tous pour un ! S’ils souhaitent un jour gagner quelque chose, ne serait-ce que le respect, les Québécois auraient intérêt à pratiquer cette devise. Eux aussi devraient quitter le confort du centre pour aller dans les coins – le gauche particulièrement. Et pour une fois, ils trouveraient avantage à écouter les commentateurs sportifs : et si, en effet, nous commencions par faire le ménage dans la Chambre ?

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