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Petite histoire de l’iconoclastie islamique… en images

Par René Lemieux le 2011/11
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Petite histoire de l’iconoclastie islamique… en images

Par René Lemieux le 2011/11

Résultat d’une série de conférences qui se sont déroulées de 2007 à 2008, l’ouvrage collectif Le Prophète Muhammad. Entre le mot et l’image propose une série de réflexions sur la représentation du Prophète de l’islam. On sait le caractère problématique de cette représentation puisque l’idéologie islamique actuelle proscrit toute représentation visuelle de Dieu (Allah) et de ses prophètes, d’Adam à Muhammad, en passant par Moïse et Jésus. L’ouvrage tombe à point, si l’on peut dire, parce qu’après l’affaire Salman Rushdie, les caricatures publiées dans le Jyllands-Posten au Danemark, et en réponse, les caricatures du Charlie Hebdo ou l’autocensure de South Park1, la distance idéologique entre un Occident faisant la promotion de la liberté de parole (et de presse) et un islam défendant la dignité de la religion islamique n’a rien perdu de son fond problématique. Notamment, les derniers heurts en Tunisie (octobre 2011) lors de la diffusion, sur une chaîne de télévision privée (Nessma) d’allégeance laïque, du film autobiographique franco-iranien Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (2007) (dans lequel une scène montre la jeune Satrapi avec Dieu) montre bien que la question non seulement divise l’Occident et l’islam, mais plus encore, définit une division idéologique à l’intérieur même de toutes sociétés musulmanes. Il s’agit là d’une question de la plus haute importance pour qui veut comprendre l’utilisation politique des signes dans les sociétés contemporaines.

Avec ses six textes, l’ouvrage montre bien le rapport difficile qu’entretient l’islam avec l’image : sémiologiquement, il s’agit pour les artistes de montrer – malgré l’interdiction de la représentation – les variétés possibles d’une vie spirituelle qui passe notamment par la représentation du danger de l’iconolâtrie. On lira donc successivement des contributions d’universitaires sur cette question avec la littérature (Mehana Amrani), le cinéma (Walid El Khachab), l’iconographie (Olga Hazan), ainsi qu’un texte plus spécifique sur l’imaginaire historique du Prophète des deux côtés idéologiques de l’islam
et de l’Occident (Jean-René Milot). On appréciera le texte très bien documenté de Salah Basalamah qui ouvre le collectif et fait la recension de la doctrine juridique de l’iconoclastie islamique, qu’on attribue à tord au Coran (la question de l’interdiction de la représentation commence avec les hadiths, les recueils des dits et faits du Prophète écrits après sa mort). Basalamah conclut, non sans un esprit polémique de sa part, en se demandant pourquoi l’interdiction qui visait d’abord la libération du croyant face aux images n’a pas empêché « le mécanisme des rapports de pouvoir, de soumission des masses à l’hégémonie d’une poignée de dictateurs ne se perpétu[ant] qu’à l’appui de l’image ».

Un mot sur l’étrange statut de la postface écrite par un des directeurs de l’ouvrage, Jean-Jacques Lavoie. Le texte, certes, est d’une grande intelligence. Toutefois, l’auteur, du lieu de la théologie et des sources judéo-chrétiennes, revient sur chacun des textes composant l’ouvrage. Étrangement, l’auteur fait la job de celui à qui on demande de faire un compte rendu critique (sur quelque 25 pages) allant jusqu’à critiquer certains auteurs (parfois assez sévèrement) tout en s’excusant de n’être ni spécialiste des images, ni de l’islam. Faudrait-il lui rappeler le rôle du directeur d’une publication : ouvrir une question parce que seul, on n’arrive pas à y répondre ?

En terminant, relevons le rôle de la question politique. Dans son introduction à l’ouvrage, Olga Hazan semblait dire que la politique y aurait peu de place, qu’il fallait étudier les images « en tenant compte de leur complexité, et ce en vue de redonner à l’histoire une place trop souvent investie par le politique ». Force est de croire qu’aucun des contributeurs ne s’est empêché d’investir à sa manière la question politique (y compris les deux directeurs dans leur propre texte). Mais peut-être fallait-il, de manière heuristique, faire ce pas de côté dans l’histoire, hors des préjugés politiques contre l’islam, faire comme les peintres, les écrivains, les cinéastes mentionnés dans l’ouvrage, et aborder la question politique de biais en présentant cette histoire plutôt méconnue de l’art islamique. Cette histoire bien réelle est à l’interdiction de la représentation ce que l’allégeance d’« apoliticisme » est au débat politique sur les relations interconfessionnelles : un détour nécessaire pour penser en dehors des opinions trop étroites. Peut-être est-ce là une leçon que l’islam, s’il se donne la peine de revoir son histoire sans préjugé religieux, peut enseigner à l’Occident.

1. Voir du même auteur l’article « Un nouveau cas d’autocensure ? – Quelques clarifications sur l’humour pervers de South Park et l’affaire des caricatures de Mahomet » paru dans Le Mouton NOIR, Vol XV, no 6, juillet-août 2010.

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