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2000 villes en occupation : un appel mondial à l’indignation

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2000 villes en occupation : un appel mondial à l’indignation

Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint ce courant de l’histoire et le grand courant de l’histoire doit se poursuivre grâce à chacun.

– Stéphane Hessel, Indignez-vous, 2010

Les indignés de Montréal

Samedi 15 octobre 2011, 9 h. Les indignés de Montréal prennent place au square Victoria entre le Centre de commerce mondial, la Tour de la Bourse et le siège social de Quebecor. Les manifestants viennent occuper ce symbole de la haute finance économique afin d’afficher leur mécontentement, leur indignation, face au système dominant actuel : le capitalisme. Objectif visé : tenir un campement permanent jusqu’au 1er janvier et créer un rapport de force important.

Ils étaient quelques centaines, voire quelques milliers, à prêter main-forte en cette première journée d’occupation. « Quelqu’un avait créé une page Facebook, moi j’ai créé un événement pour faire une assemblée générale qui a eu lieu il y a environ trois semaines. Ce qui est vraiment hallucinant, c’est qu’on a réussi à faire ça en si peu de temps », raconte Vincent, membre du comité de coordination. C’est devant une foule éclectique que s’est tenue la première assemblée générale en situation d’occupation. Il a notamment décidé de rebaptiser le square Victoria « place des Peuples ».

Parmi les quelque 2 000 personnes présentes à l’assemblée se trouvaient des indépendantistes, des communistes, des anarchistes, des gens sans drapeau, des riches, des pauvres : un rassemblement audacieux de diverses tendances. Les impressions de Vincent après cette première journée d’occupation : « La participation est au-delà de toutes mes attentes. Il y a eu aujourd’hui énormément de monde, beaucoup de gens de passage bien sûr, mais également beaucoup de gens venus pour dormir. On est vraiment en train de dire “Occupons Montréal”, ce n’est pas juste une journée, c’est des semaines. On veut être ici longtemps et on veut qu’il y ait une réponse, une réaction politique, on veut brasser des choses et s’inscrire dans l’histoire. Mais tout va dépendre de l’implication de la population, car il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un mouvement citoyen. Il faut que les gens viennent dans les assemblées et défendent leur point de vue. Mais il faut aussi que les gens s’investissent en allant dans les cuisines, en offrant de ramasser les vidanges, etc. On est un mouvement de contestation, mais il faut aussi qu’on compose avec le fait qu’on occupe un terrain, ce qui pose des défis logistiques importants ! »

Danse, musique, discussions et débats étaient au rendez-vous en cette première journée d'Occupons Montréal.

Petit historique d’un mouvement d’indignation

Le 13 juillet dernier, Adbusters, revue activiste de Vancouver, grandement inspirée par la révolution tunisienne et égyptienne, le printemps arabe et le mouvement des indignés d’Europe, lançait l’appel suivant : « Le 17 septembre prochain, nous voulons voir 20 000 personnes descendre dans Manhattan, installer des tentes, des cuisines, des barricades de paix et occuper Wall Street pour quelques mois. […] Une fois là, nous devrons incessamment répéter notre message. […] Nous demandons que Barack Obama ordonne une commission parlementaire qui mettra fin à l’influence de l’argent sur nos représentants à Washington. C’est maintenant le temps de la démocratie et non celui de la “corporatocracy”. »

Le 17 septembre, le mouvement s’est concrétisé : quelques milliers de personnes ont pris d’assaut les rues de Manhattan pour occuper Wall Street, cœur du quartier économique et financier new-yorkais. Marginalisés par les médias de masse, les indignés de Wall Street ont tout de même réussi à se faire entendre et c’est avec grande surprise que d’autres villes américaines ont suivi. Une invitation a été lancée pour que le 15 octobre soit le début d’un grand mouvement d’occupation coordonné et cohérent d’ordre mondial. Des centaines de villes ont répondu à l’appel. Au Québec, les indignés se sont manifestés à Sherbrooke, Montréal, Québec, Saguenay et Trois-Rivières. On compte maintenant plus 2 100 villes en occupation dans plus de 80 pays.

Analyse d’un mouvement coordonné

Qu’il soit question d’une occupation en Afrique ou en Australie, la force du mouvement est sûrement sa cohérence. Les lignes directrices restent les mêmes dans toutes les occupations : l’action directe non violente, l’organisation horizontale, c’est-à-dire sans chef ou représentants. Et le plus important, la diffusion d’un même message simple, mais clair à travers toute la planète : « Nous sommes le 99 % de la population qui, à partir de maintenant, ne tolérera plus l’avidité et la corruption du 1 %. »

Marcel Méthot, chargé de cours à l’UQAR : « Les indignés ont réussi à diffuser un message simple qui, comparativement aux campagnes contre les gaz de schiste, le pétrole, les mines, enfin, touche à tout. Ils réussissent à tout remettre en question en une seule phrase. De nos jours, on parle beaucoup de mondialisation de l’économie, du profit, mais c’est la première fois qu’on peut vraiment parler d’une mondialisation d’un contre-discours. En fait, en démocratie, ce qui est le plus important, c’est justement le contre-discours. »

Le message, simple et universel, serait une force du mouvement des indignés. Mais qu’en est-il des critiques dénonçant le manque de revendications précises, de solutions concrètes ? Marcel Méthot : « Ils dressent un portrait du problème, un peu impressionniste, c’est vrai, mais quand même très réaliste et, ce qu’il y a de merveilleux et particulier, c’est qu’enfin, ce n’est pas un mouvement qui propose des solutions. Je jubile quand je vois ça. On est tellement dans une société technocratique portée à mettre l’accent sur la solution qu’on en vient à oublier de penser le problème. Comme John Saul le dit, “la solution, c’est pas le problème”. C’est à cela que les indignés pensent d’abord. La solution viendra après. Si on ne s’arrête pas assez au problème, les solutions vont toujours être partielles ou ne toucheront pas à l’essentiel. »

Par son organisation et son message, le mouvement des indignés est en train de transformer la théorie des mouvements sociaux. Mais, changera-t-il le monde ? Sera-t-il porteur de cette grande révolution que beaucoup souhaitent ? Marcel Méthot : « N’attendons pas de voir si ça va changer le monde, car, à mon avis, ça l’a déjà changé parce que des gens disent quelque chose qu’on n’avait jamais osé dire à la grandeur de la planète. Avec la brèche qu’ils sont en train de créer, je pense que, bientôt, tous les partis politiques, les leaders, les universitaires ne pourront plus réfléchir sans faire référence à ce mouvement. »

Comment pouvons-nous, en tant qu’individus ou groupe, aider à l’expansion et à la crédibilité de ce mouvement de protestation ? Alain Dion, professeur au Cégep de Rimouski : « J’espère que les grands groupes organisés vont maintenant embarquer. Le mouvement syndical doit se mettre en marche, sinon on manque la plus belle aventure qui peut nous arriver en ce moment. Ça va certainement nous demander de l’adaptation. Souvent, les organisations sont très hiérarchisées, chacun a son rôle, mais ce mouvement-là, une organisation plus anarchique, va nous forcer à adopter une attitude différente. Cette nouvelle génération qui n’est pas attachée à un parti, qui n’a pas de drapeau autre qu’un drapeau humaniste ou environnemental, c’est vraiment troublant pour les organisations politiques conventionnelles. Ça va obliger à revoir les façons de faire, mais ça, c’est super positif. »

Mouvement de changement, mouvement de solidarité, chaque jour porteur d’un nouvel indigné qui se lève.

Pour poursuivre la réflexion, nous vous invitons à visiter les sites Occupons Montréal, Occupy Wall Street et Occupy Together.

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