Cela m’avait intrigué. L’opinion d’un copain en 1979 qui avait visité le Bas-du-Fleuve et qui avait lorgné le campus de l’UQAR pour voir si ça lui tentait de faire son baccalauréat dans le coin. « C’est trippant, c’est comme si l’Université était située dans un champ. » Ce « champ », toute la partie au sud de la 2e rue, a beaucoup changé depuis avec la venue de nouveaux quartiers résidentiels qu’on a déroulés dans le paysage. En fait, Rimouski a peu ou pas senti les contrecoups de la dernière récession, du moins dans le domaine de la construction résidentielle (car lorsque vous demandez aux entrepreneurs en construction comment vont les affaires, ils vous répondent par un sourire en coin). Une preuve de cela est tant la valeur que le nombre de permis émis par la Ville de Rimouski qui ont atteint des records en 2007 et 2008.
Stimuler l’économie et augmenter la dette collective des Québécois
Cela a été encore vrai en 2009, car c’est en vertu d’un principe dit keynésien (du nom de l’économiste John Maynard Keynes qui l’a proposé) que les économistes et les politiciens du gouvernement Charest ont voulu stimuler l’économie en favorisant la consommation et en promulguant le crédit d’impôt à la rénovation résidentielle. C’est dans le même ordre d’idées que les gouvernements provincial et fédéral ont augmenté les dépenses de façon colossale dans le domaine des infrastructures. Toutes ces belles dépenses ont contribué au déficit budgétaire au Canada et au Québec. Au Québec seulement, la dette collective passera de 160 à 192 milliards en 5 ans (Le Soleil, p. 10, 31 mars 2010) ! Et puis, comme il faut rembourser cette dette colossale un jour, le gouvernement Charest, avec son dernier budget, vient nous sous-tirer les sous dont il a besoin. Si cela peut vous consoler, on ne sera pas les seuls à payer, car, selon une étude britannique1, les gouvernements à travers le monde se sont entendus pour dépenser la rondelette somme de 7 trillions (ou 7 000 milliards) de dollars de deniers publics. Évidemment, tous ces sous étaient nécessaires pour stabiliser le système économique, recapitaliser les banques, sécuriser les marchés financiers, mais aussi, bien entendu, pour retrouver le chemin de la croissance économique. Lise Payette (Le Devoir, p. A9, 2 avril 2010) sermonnait d’ailleurs les Lucides qui tirent à bout portant sur notre modèle social-démocrate par les temps qui courent : « Nous aurions trouvé plus juste une démarche qui aurait consisté à bien déterminer pourquoi le déficit ne cessait d’augmenter et la dette devenait monstrueuse. » Peut-être que la véritable vache sacrée n’est pas un système de santé équitable pour tous et financé par les citoyens en proportion de leurs revenus, mais bien la croissance économique.
Selon l’économiste Tim Jackson, commissaire au développement durable de la Grande-Bretagne, notre dépendance à la croissance économique est l’une des raisons principales qui ont mené à récession de 2008. L’auteur explique que toutes les tactiques qui ont consisté à libéraliser et à déréglementer les marchés durant les deux dernières décennies, à favoriser l’expansion et la disponibilité du crédit pour stimuler la consommation étaient des actions délibérées pour accroître la croissance économique. Vous croyez que je fais un pléonasme. Il semble que dans le monde de l’économie moderne, il n’en soit pas un. Pour les économistes conventionnels, on se doit de nourrir la bête par tous les moyens.
La guilde des économistes de l’environnement
Tout cela vous laisse perplexe devant le travail des économistes qui conseillent nos gouvernements ? N’étant pas moi-même un économiste et étant donné que Le Mouton NOIR ne recule devant rien pour informer ses lecteurs, je me suis tapé quelque bouquins et rapports récemment dont ceux de Herman Daly2, de Mancur Olson3 et de Tim Jackson1 qui sont tous d’éminents éco-nomistes. Ces derniers sont d’avis qu’il faut une économie alternative pour faire face à la raréfaction des ressources, à la pollution, à la perte de biodiversité et à l’augmentation des gaz à effet de serre, l’éco-nomie. Il s’agit d’une économie qui croît peu ou pas et qui fluctue autour d’un point d’équilibre. Par contre, les composantes non physiques (ex. les connaissances) peuvent croître indéfiniment. Mais pourquoi ne pas établir un tel système maintenant ? J’ai déjà mentionné4 qu’historiquement, nous sommes tous des enfants de la croissance économique et c’est le seul modèle de progrès que nous connaissons. C’est aussi le fait qu’il y a une armada d’économistes conventionnels croyant à la croissance perpétuelle (que l’on retrouve entre autres dans les banques et qui écrivent dans nos quotidiens). C’est ce qui a fait dire à Kenneth Boulding (1910-1993), un autre éco-nomiste réputé, « quiconque croit à la croissance perpétuelle dans un monde aux ressources limitées est soit un fou ou soit… un économiste ». Même John Maynard Keynes (1883-1946), l’économiste le plus réputé du XXe siècle, reconnaissait que la croissance ininterrompue n’était pas valide à long terme. Mais il y a un peu d’espoir selon Brian Czech5, car, à partir des rencontres et des interviews de ce dernier, il y a de plus en plus d’économistes conventionnels qui rejettent la croissance perpétuelle comme modèle de progrès.
C’est plate, j’aurais aimé vous parler ici des défis reliés à la mise en place de ce nouveau modèle d’économie, mais il faut que j’aille travailler. Il faut bien que je paye mes rénovations !
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Notes :
1. Tim Jackson, Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy, publié par la Sustainable Development Commission, Royaume-Uni, 2009. Le rapport est disponible sur www.sd-commission.org.uk.
2. Herman Daly, The Steady State Economy, San Francisco, W.H. Freeman & Co, 1977. Je remercie vivement James Wilson, professeur au département d’économie et de gestion de l’UQAR, qui m’a mis sur la piste de Herman Daly et qui m’a prêté trois livres d’économie pour cet article.
3. Olson, Mancur et Landsberg, The no-growth society, New York, W. W. Norton & Co, 1973.
4. Voir l’article « La croissance économique un problème environnemental » paru dans Le Mouton NOIR, vol. XV, no 4, mars-avril 2010.
5. Voir le blogue steadystate.org/learn/blog. Il se retrouve sur le site de CASSE, le Center for the Advancement of Steady State Economics.