Politique

De l’âge du Caribou à l’ère du Plan Nord

Par Geneviève Allard le 2011/07
Politique

De l’âge du Caribou à l’ère du Plan Nord

Par Geneviève Allard le 2011/07

Le Plan Nord, annoncé en grandes pompes par le gouvernement québécois le 9 mai dernier, s’engage à améliorer les conditions de vie des communautés autochtones et locales. Néanmoins, certaines nations jugent le processus incomplet et décevant. Le plan devra sans contredit respecter la Paix des braves et la Convention de la Baie-James signées avec les Cris et les Inuits, mais qu’en est-il des Innus qui n’ont toujours pas de « police d’assurance » sur le Nitassinan ?

Se faire une idée du Nord

Avant de s’engager dans un discours orienté vers l’action, il importe de définir ce Nord aux significations multiples. Interrogés sur cette idée du Nord, certains le qualifient de beauté, d’apprentissage, de fierté, de destin et de vision, alors que d’autres disent qu’il est synonyme de chez-soi, d’envahissement, de complexité ou de résignation. Chacun a sa propre perception mentale du Nord suivant sa fréquentation du territoire, son imaginaire culturel, sa conception territoriale ou ses objectifs de développement. Cependant, toute image du Nord joue un rôle fondamental dans le présent et l’avenir de ces vastes territoires. Le Nord ne peut être « planifié » sans qu’entrepreneurs, ministères, entreprises, autochtones et résidents n’échangent leurs idées à ce sujet.

Le sixième séminaire nordique autochtone du Mushuau-nipi

Le Mushuau-nipi [mou-chou-â-ni-pi] désigne en langue innue le grand lac (nipi) du pays de la terre sans arbres (mushuau). Depuis bientôt sept ans, les Amis du Mushuau-nipi donnent vie à ce lieu de traditions et de pèlerinage innu où l’on fête et chasse le caribou depuis près de 8 000 ans. Le Mushuau-nipi est aujourd’hui un espace de dialogue et de partage culturel où se tiennent, sur les berges de la rivière Georges, des séminaires sur les défis éthiques et sociaux relatifs aux communautés autochtones. La sixième édition de ce séminaire, tenue en août dernier, abordait le Plan Nord et le défi que représente la détermination des critères de conservation du 50 %. Rappelons que le Plan Nord s’engage à créer des aires protégées et à soustraire la moitié du territoire nordique aux activités industrielles.

Trouver l’équilibre entre le développement et la conservation

Le gouvernement dit vouloir intégrer le développement durable et la protection de l’environnement à ses décisions. Réunis sous le shaputuan (la grande tente de rassemblement), au cœur des toundras nordiques, autochtones et non-autochtones, du Nord et du Sud, sont d’un autre avis. Ils croient que les décisions relatives au développement et à la conservation du Nord devraient être partagées et devraient générer des dialogues. La conservation et le développement ne sont pas les composantes disparates d’une structure décisionnelle orientée vers le développement économique. C’est un système holistique qui doit être pensé et planifié, en présence de tous les intéressés et en respect de tous les savoirs. Le Plan Nord est-il un projet de société ou est-ce la naissance d’une nouvelle société d’État sous la propriété du gouvernement à la poursuite d’un objectif de profitabilité ?

Entre processus de consultation et revendications territoriales

L’immense Plan Nord a l’ambition de concilier économie, société et environnement. Le volet social, qui comprend le respect et l’inclusion des Premières Nations, est appelé à changer considérablement la structure politique et sociale du Nord du Québec. Si certains peuples sont consultés sur ces changements – les Cris, les Inuits et les Naskapis qui occupent des territoires conventionnés –, d’autres, notamment les Innus, en sont exclus ou encore les rejettent. Même si les communautés de Nutashkuan et de Mashteuiatsh sont « partenaires » du Plan Nord, comme les autres communautés innues elles n’ont toujours pas obtenu la reconnaissance des terres, territoires et ressources qu’elles possèdent, occupent et utilisent ancestralement.

Le territoire traditionnel de la nation innue, le Nitassinan qui veut dire « notre terre », représente plus de 700 000 km2. Il s’étend de l’embouchure de la région de Québec au détroit de Belle-Isle et du lac Saint-Jean à la baie d’Ungava, ainsi qu’au Labrador. Près de 20 000 Innus y sont actuellement installés dans 13 réserves exiguës (11 réserves sont réparties au Québec et 2 au Labrador). Une entente de principe est en cours de négociation. Cette dernière vise la création d’Innu Assi, qui signifie « en terre propre », des territoires semblables à des villes. Ces territoires doublent la superficie moyenne de la réserve et accordent des droits de gestion aux communautés concernées. Si l’entente était signée aujourd’hui, la superficie des Innu Assi totaliserait 3 022 km2 et le Québec conserverait la propriété des ressources hydrauliques et du sous-sol sur 2 500 km2. Mais les revendications portent surtout sur la propriété et la cohabitation des Innus et des Québécois au Nitassinan.

Entretien avec les chefs de l’Alliance stratégique innue

Pourquoi le gouvernement ne reconnaît-il pas aux Innus la possession du Nitassinan ? Trois chefs de l’Alliance stratégique innue ont traversé la péninsule Québec-Labrador pour tenter d’expliquer les choses. Les chefs Georges-Ernest Grégoire, Réal McKenzie et Jean-Charles Piétacho ont raconté au sous-ministre Christian Dubois, délégué au Plan Nord, ainsi qu’aux 35 autres participants du séminaire, l’histoire de leurs revendications et les raisons de leur refus de participer à la démarche du Plan Nord.

Jean-Charles Piétacho, chef d’Ekuanitshit (Mingan)

« Pourquoi sommes-nous en perpétuelles négociations ? Parce que nos droits ne sont pas reconnus. […] Ma communauté et celle de Pakua Shipi (Saint-Augustin) sont parmi les dernières à avoir été constituées (1949 et 1952). Les fonctionnaires ont d’abord voulu nous déménager vers les communautés de Nutaskuan (Natashquan) et Uashat mak Mani-utenam (Sept-Îles et Moisie), mais la résistance des Innus d’Ekuanitshit (Mingan) a duré 20 ans et en 1964 une première maison a été construite à Ekuanitshit. »

«  Sur des ententes telles que celle de la Romaine, mon coeur dit Non. Mais, confronté à la réalité, il faut aller de l’avant et tenter de maximiser les opportunités. […] La rivière Romaine aurait pu être une occasion de reconnaître le territoire innu, mais on ne s’entend pas sur le partage des ressources. Nous croyons que c’est 100 % qui nous revient, on pourrait s’entendre pour 50 % et l’offre sur la table est de 3 %. »

« Il faut s’affirmer dans le contexte du Plan Nord. Les Innus doivent être ensemble ; c’est mon aspiration. […] À la table des partenaires, on vous écoute, mais on ne vous comprend pas. »

Réal McKenzie, chef de Matimekush-Lac-John (Schefferville)

« J’ai connu les époques de 1954 [arrivée de la compagnie minière IOC], de 1982 [fin de l’exploitation minière à Schefferville], et de 1988 [commission parlementaire sur l’avenir de Schefferville]. La première fois que l’Assemblée nationale débarquait à Schefferville, j’ai vu l’espoir, d’autant plus que celui qui était auparavant président de IOC était devenu premier ministre du Canada, Monsieur Brian Mulroney. »

« En 1988, l’Iron Ore [Iron Ore Company of Canada] ne voulait plus payer de taxes et voulait démolir la ville (aréna, piscine, maisons…, etc.). Matimekush avait un besoin criant d’habitations, mais rien n’y fit. Il aurait suffi d’un transfert de titres. Les bulldozers sont passés devant nous et nos familles. »

« Trente ans plus tard, deux compagnies minières arrivent, Labrador Iron Mines et New Millenium1. Les aînés n’ont jamais oublié la destruction de Schefferville et ils entretiennent un sentiment de méfiance, ce qui a généré la levée de barricades. »

« On ne veut pas revivre cela. Depuis 30 ans, on a survécu ! […] 50 % de notre population est âgée de moins de 25 ans. Alors, réglons, car il est très tard. Les Innus sont en crise, en colère, ils désirent autonomie et reconnaissance ».

« On ne dit pas non au Plan Nord. On veut savoir ce que c’est et rencontrer Madame Normandeau d’égal à égal. […] Nous désirons de la transparence […] Nous sommes au même niveau que vos ministres – nos égaux – au dialogue. »

Georges-Ernest Grégoire, chef de Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (Sept-Îles et Moisie)

« Je suis ici [au Mushuau-nipi] et, contrairement à Québec, je sens qu’on m’écoute et qu’on me comprend. […] Nous ne sommes pas contre le Plan Nord, c’est que nous devons être assis à la même table que le gouvernement et pas avec 300 personnes. […] Nous sommes toujours prêts à discuter avec le gouvernement et l’Industrie. »

« Le développement du territoire doit être réfléchi avec les chefs et je veux être partie prenante de ces décisions. »

L’omniprésente question de la territorialité

Le Mushuau-nipi porte parfois sur les cartes, le nom de « Indian House Lake » ou encore la maladroite traduction du « lac de la Hutte Sauvage ». Ces noms de colonisateurs font référence aux nombreux shaputuans et tipis qui, à l’époque, se dressaient sur les rives de la rivière Georges. Peut-on trouver l’équilibre entre la protection des derniers écosystèmes intacts de la planète et le développement durable du Nord lorsqu’on ne s’entend pas sur la propriété, le partage et la gestion d’un tiers du Nord et de ses ressources ? Peut-on réellement aborder la question territoriale par le biais de consultations et par la mobilisation de centaines de personnes autour d’un plan aux intérêts multiples ?

Les Premières Nations veulent être entendues et reconnues dans leurs aptitudes et leurs droits à s’autogérer, et la disparité entre ces nations (Inuits, Cris, Naskapis, Innus, Algonquins, Attikameks etc.) nécessite une approche différente tenant compte de leurs spécificités propres et de leurs attentes. Ce n’est que lorsque le gouvernement reconnaîtra les Premières Nations comme partenaires dans la prise de décision sur le territoire qu’il pourra réellement s’engager dans l’élaboration d’un véritable « Plan Nord » durable et équitable. Nous pourrons alors réfléchir collectivement à la protection de sa biodiversité, mais également à celle de son histoire et de ses peuples.

S’investir au présent pour forger l’avenir des Premières Nations du Nord

Participer au Mushuau-nipi, c’est effleurer le passé, vivre le présent et entrevoir le futur d’un peuple généreux au sourire perpétuel. Cette année, la Corporation des Amis du Mushuau-nipi lance ses initiatives jeunesses afin de former la société civile, les gouvernements et les Premières Nations de demain sur la connaissance autochtone, le partage culturel, l’identité, la cohabitation et le lien au territoire. Toujours dans la veine du Plan Nord, le septième Séminaire nordique autochtone adresse les actions récentes du gouvernement sur la réforme minière, la mise en œuvre du Plan Nord ainsi que la consultation et le consentement des Premières Nations. Politiciens, industriels, prospecteurs miniers et leaders autochtones sont conviés à parler et à écouter, en toute simplicité, au bord du lac du pays de la terre sans arbres.

Merci à Élisabeth Ashini et Anne-Marie André St-Onge pour leur accueil, leur sagesse et leur spiritualité, à Luc Collin pour son humour et sa sincérité, et à Serge Ashini Goupil et Jean-Philippe L. Messier pour leur persévérance à forger un monde meilleur.

L’auteure est coordonnatrice du Centre d’études nordiques à l’Université du Québec à Rimouski.

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Notes :

1. Le 8 juin dernier, la nation innue de Matimekush-Lac-John (Schefferville) concluait une entente avec New Millennium Capital sur les répercussions et les avantages du projet d’extraction. La veille, une entente similaire avait été signée avec Labrador Iron Mines Holdings Limited.

2. Pour plus d’information sur les séminaires nordiques autochtones et sur les initiatives jeunesse du Mushuau-nipi, nous vous invitons à suivre les Amis du Mushuau-nipi sur Facebook et Twitter, et à consulter les info-lettres ainsi que les rapports des séminaires.

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