Artiste en arts visuels et en performance, ingénieure, communicatrice, Soufïa Bensaïd porte une histoire qui s’écrit de la Tunisie au Québec en passant par la France, est tissée de couleurs multiples.
La tempête de neige qui a forcé la fermeture de la 132 le 18 mars dernier, jour de la performance de l’artiste à la Galerie d’art de Matane, n’a pas ébranlé la quiétude qui règne dans l’installation Links, qui nous ouvre à la fois l’univers intimiste de son atelier et la complexité des liens qui l’unissent au monde.
La performance débute face à un amoncellement de laines et de fils multicolores sous lequel on sent la présence du corps de l’artiste sans pouvoir en reconnaître la posture, dans une ambiance sonore où des bruits d’eau et de corps en mouvement, combinés à une longue immobilité de cet être laineux au centre de la galerie, créent une tension chez les spectateurs, à la limite du malaise. Puis, l’amas de laine se soulève pour devenir une marionnette contemporaine qui évoque une voiturette d’enfant, un éléphant, puis un boa des grands soirs, un arbre touffu, une femme enceinte de mille liens, réveillant une infinité d’histoires par des images suggérées, ébauchées. Cette progression appelle une découverte, une naissance, jusqu’à cette inversion du corps où les jambes prennent la place des bras et où la tête ne se devine que par les sons d’une chanson arabe fredonnée dont la mélodie s’estompe lentement, alors que la voix s’épuise sous l’effort physique de la position inversée. Le regard de la performeuse, révélé à la toute fin, se porte sur nous comme celui d’une voyageuse au retour d’un très long périple.
A. L. – Soufïa, comment est né le projet Links?
S. B. – Dans ma vie, je m’étais souvent interrogée sur le point seuil, celui où on ne peut revenir en arrière. Pour moi, la question essentielle était : quelle est l’influence des autres et comment est-ce que j’influence parfois ce point seuil pour quelqu’un d’autre. Par exemple, rien dans ma vie ne me prédestinait à venir vivre au Canada et pourtant, je peux reconnaître un point seuil, sur la plage de Tunis. Souvent, je vois des gens et je me demande : qu’est-ce qui me relie à eux? Lorsque je vois une voiture sur la route, il y en a une autre devant, puis une autre encore et une autre, mais quel est le point d’origine? C’est un exemple, mais je me sens aussi reliée à des vies d’il y a des millénaires, à des choses qui arrivent de l’autre côté de la terre, à ce qui se passe à Tunis maintenant. Comme scientifique, je m’intéressais à la théorie du papillon, aux théories du climat. Ça me fascine de me sentir reliée à ce qui est arrivé il y a 4 000 ans, à ce qui arrive en Orient. Pendant la préparation de Links, qui est en progression depuis plus d’un an et demi, j’ai beaucoup lu. Le livre des coïncidences de Deepak Chopra a été particulièrement marquant. L’influence de Rishi, aussi, qui dit : « Nous sommes des inter-êtres, nous ne sommes que parce que nous sommes en relation. »
A. L. – Sur cette période d’un an et demi, comment le projet a-t-il évolué?
S. B. – Tout a commencé avec une bobine de fil que je déroulais. Je demandais aux gens de se placer autour de moi. Je racontais les fils comme des chemins. J’ai raconté l’histoire d’une vie, d’une guerre, et au fond de moi, c’était la guerre au Moyen-Orient. Je sentais ce désir de transmettre quelque chose de lumineux dans le monde, de désamorcer l’origine de la violence.
Puis j’ai présenté dans Série 8-08 à Toronto avec la comédienne Jacqueline de Guire. Nous avions deux univers différents et des coïncidences se produisaient, des points de rencontre. Puis j’ai commencé à travailler avec Peter James, qui a été mon oeil extérieur. Des tableaux se sont ajoutés, d’autres ont été enlevés. La chanson en arabe est venue après. C’est une chanson que me chantait ma mère. Elle parle de la promesse d’une nouvelle Jérusalem, de l’amour et de la paix.
À voir
Links de Soufïa Bensaïd, à la Galerie d’art de Matane jusqu’au 29 avril 2011.