Mon désespoir s’adoucit
dans une tasse de thé
Wang Wei (415-443)
Dans la bouche, le goût du thé
donne une idée de la langue.
Tout est dans la voix
Paul Chanel Malenfant
La grande voix du vent
Toute une voix confuse au loin
Puis qui grandit en s’approchant,
Devient
Cette voix-ci, cette voix-là
De cet arbre et de cet autre
Et continue et redevient
Une grande voix confuse au loin
Hector de Saint-Denys Garneau
En février, le vent soulève la neige en fine poudre tourbillonnante, mais quand il chasse les nuages et dévoile le bleu intense du ciel, la chaleur du soleil sur les joues tranche avec l’air piquant. Puis, avec l’humeur capricieuse de mars, on peut sombrer dans une certaine lassitude de l’hiver. Au creux de cette léthargie monte soudain une folle envie de printemps. C’est le temps de boire du thé wulong euphorisant1!
À mi-chemin entre les thés verts et les thés noirs, la famille des wulong présente des thés dont l’oxydation peut varier – plus verts que noirs ou plus noirs que verts – que l’on préparera avec de l’eau souriante (90 °F – 95 °F), 2 g pour 250 ml d’eau, avec un temps d’infusion ne dépassant pas, une fois les feuilles rincées, quatre minutes pour les plus verts et sept minutes pour les plus noirs.
La province chinoise du Fujian est réputée pour ses wulong. Au nord, dans les paysages escarpés riches en cascades des monts Wuyi, on produit à flanc de falaise de célèbres Yan cha « thés des rochers » dont le Bai Ji guan « crête de coq blanc » et le Da hong pao « grande robe rouge ».
Le Bai Ji guan
Ce thé rare, produit en petite quantité, est un thé délicat au goût subtil, pour connaisseurs. Ses feuilles, longues et fines, d’un vert jaune, produisent une liqueur or pâle qui évoque le parfum des fleurs avant qu’elles n’éclosent avec dans son sillage une promesse de fruits, ou encore rappelle un souvenir câlin lorsqu’on enfouit son nez au creux d’une épaule réconfortante, tout près de la nuque. En fin de bouche, un léger goût de céréales grillées suit une tendre sensation de chair écrasée de fruits doux sans être vraiment sucrés.
Le Da hong pao, récolte d’automne
C’est le plus connu des thés de rochers, un thé franc, plus direct, plus charnu que le premier. Ses grandes feuilles torréfiées brun vert donnent une liqueur ample à la robe d’un or profond aux reflets rouge tango. Très aromatique : des saveurs boisées, cacaotées, fruitées titillent les papilles, puis valsent dans la bouche avec en finale une douceur caramélisée qui donne envie d’y revenir. Un baume pour le vague à l’âme.
Il ne faut pas oublier que pour beaucoup de thés la première infusion n’est pas nécessairement la meilleure puisque certaines particules aromatiques prennent leur temps pour se déployer. Entre les infusions, respirer les feuilles humides aide à apprivoiser l’éventail des flaveurs.
Le Mi lan xiang
Plus abordable, le Mi lan xiang « parfum d’orchidée au miel », wulong originaire de la province du Guangdong, est un thé Dan cong, c’est-à-dire en provenance de théiers issus d’une seule graine. Certains ont aujourd’hui plus de 900 ans. Chaque individu génétique évoluant différemment, chaque thé Dan cong est donc nommé selon sa fragrance. Il arrive aujourd’hui que l’on mélange les feuilles de plusieurs théiers obtenus par bouture, mais cela n’enlève rien à ses qualités voluptueuses. Le Parfum d’orchidée au miel produit une liqueur dorée très claire, mais riche. L’infusion, ronde, beurrée même, révèle en effet des parfums épanouis de fleurs et de fruits soutenus par des notes légèrement maltées et mielleuses. Un thé gouleyant tout en sourires. Plutôt méconnu, il réserve de belles surprises aromatiques.
Le plaisir du Gong fu cha
Le thé wulong peut se boire en théière ou en zhong2 et il se prête particulièrement bien au rituel du Gong fu cha. Si les Japonais ont développé une cérémonie du thé extrêmement codifiée, plutôt rigide, chez les Chinois, plus épicuriens, le Gong fu cha connaît peu de règles sauf celles d’un bon thé partagé entre amis de thé. On peut certes boire un gong fu cha dans une ferveur méditative tout en contemplant la nature ou en écrivant et récitant des poèmes, mais on peut le faire pour saisir le temps qui passe, délicieusement, tout simplement, en devisant joyeusement entre amis. Chaque infusion est préparée en petites quantités et servie dans des coupelles qui se vident d’une gorgée. L’hôte officie et prépare le thé avec élégance et dextérité. Les rondes se suivent. De courtes infusions au début, puis de plus en plus longues jusqu’à ce que les feuilles soient épuisées : alors on en infuse de nouvelles. Les langues se délient, des rires fusent, c’est le maître du thé qui décide du degré d’euphorie à procurer à ses invités.
Douce euphorie dont on ne peut réellement abuser…
Des gorgées pleines de la promesse du printemps!
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Notes :
1. En effet, à cause d’essences aromatiques, certains wulong peuvent être légèrement euphorisants; de plus, une consommation de 8 g par jour est réputée avoir un pouvoir amaigrissant.
2. Que l’on appelle aussi gai wan.