Un bref rappel sociohistorique montre que le monde rural a changé et par conséquent ses représentations ne sont plus les mêmes. Les années 1950 sont marquées par une image plutôt négative de la ruralité où être agriculteur est une condition dont il faut se libérer et à laquelle est liée celle de communautés où les membres construisent des relations sociales fondées sur la haine et la mesquinerie. La ruralité est à l’image de communautés qui n’auraient pas atteint la civilisation et donc assujetties à des comportements grégaires plus enclins à la dispute qu’à la réflexion. D’où cette idée « d’esprit de clocher » qui alimente encore aujourd’hui la représentation du monde rural ne pouvant y voir autre chose que de l’animosité entre les villageois alors que l’esprit de clocher était d’abord celui de la communauté qui fixait les règles du vivre ensemble. Au Québec, la plupart des études monographiques nourrissaient une image de la ruralité mettant en valeur son homogénéité plutôt que ses différences.
Les années 1960 marquent un tournant important dans la représentation de la ruralité. Le mouvement étudiant et celui du retour à la campagne vont radicalement transformer cette image négative de la ruralité. La campagne devient un lieu que l’on valorise pour la nature, le calme, l’air pur, la liberté. Ce mouvement cherche un espace pour se mettre à l’abri de la société de consommation et recoloniser de nouveaux espaces au nom d’un mode de vie qui repose sur l’autosuffisance. Cette occupation de l’espace se déploie également dans le cadre d’un mouvement de résistance contre la fermeture des villages au début des années 1970. Paradoxalement, durant toute cette période l’image de la campagne par les ruraux n’est pas pour autant valorisée. Une maison au village ou un lopin de terre dans les rangs est souvent le signe de la misère et sans valeur. Il faudra attendre la fi n des années 1980 pour que la représentation de la campagne par les ruraux redevienne positive et qu’elle brise cette image plutôt réductrice d’une ruralité homogène.
On pourrait évoquer plusieurs facteurs qui sont à l’origine d’une telle transformation de la représentation de la ruralité à commencer par la décentralisation, la création des MRC et d’organismes de développement locaux qui vont permettre de valoriser les actions locales et par le fait même entraîner une prise de conscience du développement local. C’est aussi durant les années 1980 et 1990 que les études vont s’intéresser à la dimension plurielle et multiforme de la ruralité. Mentionnons également que la mobilisation des ruraux au BSL et en Gaspésie à la fin des années 1980, dont particulièrement le mouvement de la Coalition urgence rurale et le Ralliement gaspésien et madelinot, et les États généraux du monde rural en 1991, qui ont donné suite à la création de Solidarité rurale du Québec, aura été un des moments forts de la transformation de la représentation de la ruralité.
Il faudrait également souligner que le mouvement rural va permettre la création de l’Union paysanne un syndicat citoyen qui a vu le jour dans la foulée d’un premier Rendez-vous des acteurs du développement local en milieu rural en 1996 et plus particulièrement lors de la mise sur pied de la coalition Sauver les campagnes en 1999, deux rencontres tenues à Saint-Germain-de-Kamouraska. Les enjeux sont immenses puisqu’ils visent une remise en cause du modèle agro-industriel par opposition au modèle de développement local qui s’appuie sur les forces du milieu afin d’élaborer des solutions collectives pour une agriculture biologique et diversifiée à visage humain. L’Union paysanne interroge la logique dominante dont le socle est encore bien vissé dans les principes suivants : produire à moindre coût, se brancher sur les innovations technologiques qui sont d’abord pensées au service de la rentabilité économique, et donc peu sociales, et finalement un État dont les choix de développement laissent croire que de telles initiatives ont peu de reconnaissance. Cependant, le mouvement rural dans sa dimension la plus critique semble avoir une certaine légitimité auprès d’un nombre important d’individus et de diverses associations qui regroupent non seulement le mouvement écologique, mais aussi l’ensemble du mouvement communautaire, féministe et d’économie sociale.