Société

Le développement rural durable au Québec : enjeux et défis

Par Bruno Jean le 2010/12
Société

Le développement rural durable au Québec : enjeux et défis

Par Bruno Jean le 2010/12

Comprendre le Québec rural, c’est reconnaître les forces qui ont forgé son passé, qui déterminent son évolution actuelle et qui dessinent son avenir. En fonction de cette lecture, il reste à identifier les grands enjeux de développement rural qui prennent forme actuellement. Pour affronter ces défis, les ruraux seront appelés, une fois de plus, à démontrer leur capacité à trouver des solutions inédites.

L’histoire rurale québécoise met en scène une ruralité jeune, encore en train d’assurer l’occupation de son territoire. Si les ruraux ont su faire preuve d’innovation pour organiser leur vie sociale et économique, cette histoire a imprimé sa marque sur la dynamique sociale actuelle et les objectifs de la politique rurale. Elle s’est avérée un dispositif efficace pour aménager l’avenir des communautés rurales dont plusieurs connaissent des problèmes d’adaptation au nouvel environnement économique mondial, de diversification de leur base économique et de reconversion vers la nouvelle économie rurale. La pérennité d’une collectivité sur cinq (environ 200 sur les quelque 1 000 municipalités rurales), souvent située dans les régions périphériques, est toujours questionnée de nos jours.

La diversité des milieux ruraux québécois permet aussi de constater que des modèles de développement rural fort différents peuvent cohabiter dans une même société. Dans plusieurs zones forestières, la grande entreprise à propriété étrangère a souvent exercé des effets socioéconomiques structurants; dans la ruralité agricole, domaine de petits propriétaires fonciers, on est plus enclin à croire aux vertus de l’entreprenariat local, aux PME, pour soutenir un développement régional qui passe par le développement local. Enfin, il arrive que le développement régional soit attendu de l’État investissant dans les infrastructures comme des parcs naturels et des équipements récréotouristiques. La grande entreprise, l’État et la société civile peuvent être des catalyseurs de développement rural. De son côté, la politique rurale québécoise repose sur un modèle de développement qui valorise le renforcement des capacités de développement des acteurs locaux, la mobilisation citoyenne comme facteur déterminant de développement permettant aux communautés de mobiliser leurs atouts en vue d’un développement territorial durable.

LES ENJEUX PROSPECTIFS DE DÉVELOPPEMENT RURAL QUI SE DESSINENT

Comprendre la ruralité, c’est aussi identifier et maîtriser les enjeux ou les défis de développement rural qui se profilent à l’horizon pour adapter nos interventions comme acteurs socio-économiques ou nos politiques comme acteurs publics. Il est possible de décliner ces enjeux en quatre grands défis.

Le défi environnemental : le développement rural doit prendre en compte la préoccupation pour la préservation des écosystèmes agricoles, forestiers, marins et des ressources naturelles maintenant représentées comme un patrimoine collectif, ou des biens publics. Plus récemment, ce sont les changements climatiques, particulièrement visibles dans la ruralité nordique et sur les zones côtières du Québec maritime, qui nous lancent de nouveaux défis. De nouvelles pratiques productives et de nouveaux usages des ressources rurales devront être expérimentés pour limiter les impacts ou s’adapter à ces changements climatiques.

Le défi économique : le développement de plusieurs régions rurales marginalisées par l’agriculture moderne visant des productions génériques ouvre de nouvelles opportunités de développement avec la demande urbaine pour des produits agricoles de qualité ou dits « du terroir », avec la mise en place de systèmes agroalimentaires locaux. Le défi économique de plusieurs territoires ruraux est souvent de sortir des vieilles logiques de la spécialisation productive pour s’engager dans une dynamique de diversification économique plus apte à affronter les turbulences d’une économie mondialisée.

Le défi social : l’exode des jeunes ruraux vers les villes et le vieillissement de la population rurale restent des préoccupations pour lesquelles des solutions sont encore à inventer. La vitalité sociale des communautés rurales, et notamment des municipalités considérées dévitalisées, réclame une innovation au niveau du maintien des services aux populations sur des territoires de faible densité; plus encore, elle nécessite un renforcement de leurs capacités d’attraction et de rétention de nouvelles populations, et donc de nouvelles capacités d’accueil et d’intégration des migrants urbains.

Le défi politique : le développement des territoires ruraux pose la question de la représentation politique des ruraux et des nouveaux modes de gouvernance à instituer pour assurer une meilleure complémentarité rurale-urbaine.

Qui peut exprimer les revendications des ruraux, les représenter dans la sphère sociale et politique? Jadis, c’était le syndicalisme agricole, mais de nos jours divers partenaires originaires de différents milieux prétendent défendre les intérêts ruraux. Par ailleurs, deux dynamiques pourraient redessiner l’environnement politico-institutionnel de la ruralité, soit la décentralisation des compétences des gouvernements centraux vers les instances locales et le processus de fusion des petites localités autour d’une ville.

APPRENDRE DE LA RURALITÉ

Le Québec rural contemporain nous a appris qu’un des premiers traits de la ruralité, c’est sa très grande diversité. Des milieux ruraux connaissent une dévitalisation, mais plusieurs autres sont en croissance. Celle-ci résulte souvent de la mise en valeur des aménités naturelles et de l’économie du savoir, typique de la nouvelle économie rurale, et moins de l’agriculture, de l’exploitation forestière ou minière, soit de la mise en valeur des ressources naturelles typiques de l’ancienne économie rurale. L’interdépendance rurale-urbaine est plus profonde qu’on le pense généralement. Elle se situe au niveau des échanges économiques souvent asymétriques, des institutions pensées pour les villes et qui desservent le monde rural avec plus ou moins de pertinence, des défis environnementaux qui sont communs aux mondes rural et urbain, et de l’identité rurale qui se construit sous le regard urbain.

Le développement rural, s’il peut bénéficier de politiques publiques appropriées, repose d’abord sur les populations rurales capables de se donner une vision d’avenir, de prendre des initiatives et de dialoguer avec les populations urbaines pour identifier leurs intérêts communs. Les ruraux doivent aussi se montrer capables d’accueillir de nouvelles populations et de reconstruire leurs infrastructures sociales dans le cadre d’une gouvernance régionale repensée. Les territoires ruraux qui réussiront à s’inscrire dans une telle dynamique de développement pourront demeurer ou redevenir de véritables territoires d’avenir.

Bruno Jean est professeur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement rural de l’UQAR et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT).

Partager l'article

Voir l'article précédent

Les représentations de la ruralité

Voir l'article suivant

Le Québec rural aujourd’hui, un monde en mouvement