Le printemps dernier, la véritable épopée des Canadiens de Montréal en séries éliminatoires a littéralement enflammé le Québec. Pour paraphraser le slogan publicitaire de la mythique équipe, le Québec était hockey ! Qui aurait cru que nos Glorieux allaient éliminer les puissants Capitals avec leur ribambelle de joueurs vedettes avant de faire subir le même sort à Sidney Crosby et à sa bande de Penguins ? Les amateurs de hockey, et bien d’autres encore, se surprenaient à astiquer leurs chaises de parterre en vue du défilé de la Coupe Stanley.
Dans ce contexte, la chanson de Loco Locass intitulée Le but devint un hymne rassembleur recherché depuis longtemps, de surcroît dans la langue de Miron ! Comment résister à ce merveilleux texte et à cette mélodie syncopée ? Pris dans la frénésie des performances printanières « de Canadien » (comme les animateurs du Sportnographe1 se plaisent à les appeler, en éludant le déterminant), il fallait avoir une pierre à la place du cœur pour ne pas ressentir ne serait-ce qu’un léger frémissement de l’épiderme à l’écoute de cette chanson.
Un des couplets a intrigué le sociologue en moi (déformation professionnelle). Le voici :
Ils diront jamais tel quel aux nouvelles
Mais le tissu social de Montréal
C’est de la Sainte-Flanelle
Quand y est question de hockey
Nous on fait pas dans la dentelle, OK?
C’est plus qu’un sport :
C’t’ une métaphore de notre sort
C’est ça qui nous ressemble
C’est ça qui nous rassemble
On sait déjà que la performance sportive d’une équipe nationale a des effets avérés sur l’économie d’un pays. Une étude de la banque ABN Amro, publiée en 2006, a montré qu’un « vainqueur de Coupe du monde profite d’un bonus économique moyen de 0,7 % de croissance additionnelle sur un an2 ».
Je me suis donc demandé si le sort des Québécois était empiriquement lié aux performances de la Sainte-Flanelle. Mobilisant mes connaissances de la démarche scientifique, j’ai procédé à une collecte de données afin de vérifier cette assertion. Tout d’abord, je suis allé chercher les statistiques des Canadiens de Montréal de 1975 à 20104. Pour la même période, j’ai eu recours aux données du recensement de Statistique Canada (pendant qu’elles existent encore, mais je m’égare). J’en ai tiré le taux d’activité de la population (proportion de la population en âge de travailler occupant un emploi ou étant à la recherche d’un emploi) au Québec, en Ontario et au Canada, de même que l’âge de la première maternité, le taux de fécondité et le taux de mortalité.
J’ai entré ces données dans un logiciel de statistiques (SPSS). Puisque la distribution ne respecte pas les critères de normalité, j’ai fait des corrélations non paramétriques. Gardons à l’esprit que cet exercice est purement distrayant. Un peu comme des enfants qui s’imaginent en finale de la Coupe Stanley en jouant au hockey dans la ruelle, cet exercice est ni plus ni moins que de la science dans la ruelle ! Appelons cela de la science-bottine !
À ma grande surprise, certaines corrélations sont significatives (selon la formule consacrée), 19 fois sur 20. En voici un aperçu. Les chiffres entre parenthèses renvoient à l’intensité de la corrélation selon une formule développée par Spearman, variant entre +1 et –1. Une valeur positive, par exemple 0,544, indique que les deux variables vont dans le même sens : quand un indicateur augmente, l’autre augmente aussi. Une valeur négative, par exemple –0,544, indique une variation en sens opposé : quand un indicateur augmente, l’autre diminue.
Ainsi, plus les Canadiens font de points en une saison, plus le taux de fécondité augmente (0,360), plus l’âge de la première maternité diminue (–0,500), tout comme le taux de mortalité (–0,586). Passons sur les interprétations coquines que pourrait inspirer ce résultat !
La sempiternelle question de l’an dernier, à savoir qui de Carey Price ou de Jaroslav Halak devrait garder le but du Tricolore, semble futile puisque aucune corrélation significative ne peut être établie avec le nombre de buts alloués en une saison ! C’est le nombre de buts comptés qui semble influencer davantage les indicateurs. En effet, plus les Canadiens marquent de buts, plus le taux de mortalité diminue (–0,587). Par contre, plus les Glorieux en comptent, plus le taux d’activité diminue (–0,718). Est-ce que les compteurs prolifiques divertissent trop les travailleurs ? D’un point de vue sociologique, il faut souligner que les plus grosses années des compteurs de la Sainte-Flanelle correspondent souvent à des périodes de récession, par exemple les 387 buts comptés en 1976-1977, au sortir de ce que les économistes appellent les Trente glorieuses (rien à voir avec nos Glorieux !) et au début de la crise pétrolière.
Donc, peut-on affirmer que le tissu social du Québec est Tricolore ? Loco Locass explique ainsi avec verve l’utilisation de ces couleurs : « Bleu comme le Saint-Laurent, Blanc comme l’hiver, Rouge comme le sang qui nous coule à travers le corps ». Prenant la balle (ou la rondelle) au bond, je me permets un glissement de notre sport national à la politique, deux mondes pas si éloignés l’un de l’autre, pour y aller d’une prédiction, tout comme les analystes sportifs se risquent à le faire en début de saison.
Je prédis en effet une année politique tricolore. Tant du côté bleu (Parti québécois) que du côté rouge (Parti libéral), on pourrait assister à une course à la chefferie dans la prochaine année. Le leadership de Pauline Marois semble fragile et j’imagine que la carapace de Jean Charest va finir par se fissurer devant l’accumulation des scandales et des allégations douteuses. Et que dire de Michael Ignatieff, du côté rouge fédéral ? Voilà pour le bleu et le rouge. Et le blanc, me direz-vous ? Je réserve cette couleur pour le nouveau parti de droite en formation, plus exactement en fomentation ! En espérant que ce ne soit qu’un éléphant blanc ou encore que le projet fasse chou blanc. Les idées et les politiciens de droite sont déjà de toute manière en supériorité numérique à l’Assemblée nationale !
En conclusion, rappelons le côté ludique de cet exercice. Il ne faudrait pas prétendre à une quelconque visée scientifique. Disons que j’ai utilisé les outils scientifiques à des fins récréatives. Je ne pourrais même pas rêver à l’obtention d’un prix Ig Nobel, une parodie des prix Nobel, remis à des chercheurs ayant des résultats de recherche improbables, drôles, mais qui font réfléchir3. À l’instar de Loco Locass, mentionnons que « c’est de même parce que c’est de même pis c’est ben correct » !
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Notes :
1. Vous trouverez le texte complet sur www.locolocass.net/nouvelles/content/view/128/39/.
2. La preuve ici : www.20minutes.fr/article/584891/Economie-Espagne-l-euphorie-de-la-victoire-peut-elle-relancer-l-economie.php.
3. Pour en savoir davantage sur ces prix : http ://improbable.com/ig/.
4. Une étude de la banque ABN Amro, publiée en 2006, a montré qu’un « vainqueur de Coupe du monde profite d’un bonus économique moyen de 0,7 % de croissance additionnelle sur un an ».