Champ libre

La Constellation du Lynx de Louis Hamelin

Par Jacques Bérubé le 2010/12
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La Constellation du Lynx de Louis Hamelin

Par Jacques Bérubé le 2010/12

La Constellation du Lynx est une œuvre de fiction. Un travail de reconstitution pour lequel l’imagination romanesque a servi avant tout d’instrument d’investigation historique. L’histoire officieuse a été le mortier du romancier devant la façade pleine de trous d’une version officielle ne tenant pas debout.

Note de l’auteur dans Louis Hamelin, La Constellation du Lynx, p. 593

Œuvre de fiction, certes, mais rarement la fiction n’a aussi bien collé au peu que l’on sait de la réalité des événements d’Octobre 70, terreau du septième roman de Louis Hamelin, véritable « expert » de cette période sombre de l’histoire du Québec. La Constellation du Lynx est, sans conteste, une œuvre majeure de notre littérature politique contemporaine, toute romanesque soit-elle, et, oui, de notre histoire. Ceux qui, comme moi qui ai le même âge que l’auteur, connaissent bien les aléas de la crise d’Octobre 70 reconnaîtront sans problème la suite des événements politiques de l’époque et les personnages – hormis les purement fictifs comme, sauf erreur, le gros Coco Cardinal – qui sont tous renommés et pastichés. Ainsi, les frères Rose deviennent les frères Lafleur, l’omniprésent Jacques Lanctôt, qui s’est toujours autoproclamé héros patriote, devient un Lancelot animateur de radio-poubelle – bien fait pour sa grande gueule de mythomane ! – et Francis Simard, celui de la Cellule Chénier qui a toujours le plus parlé – et affabulé – est Richard Godefroid, Gode, personnage pivot de La Constellation du Lynx.

Les plus jeunes – et ceux qui n’ont pas porté plus d’intérêt qu’il ne le fallait à Octobre 70 – trouveront dans ce livre une belle occasion pour en savoir plus sur ce qui s’est passé dans le Québec de la fin de la Révolution tranquille, sous les gouvernements de Robert Bourassa – le petit Albert Vézina – et Pierre-Elliot Trudeau – qui, par choix éditorial hamelinien, conserve son nom ; pas question que celui-ci échappe à son histoire et à son rôle de sombre vilain !

On retrouve aussi, avec nostalgie et sympathie, un superbe pastiche du grand écrivain Jacques Ferron, Chevalier Branlequeue, qui côtoie et stimule l’un de ses ex-étudiants, du groupe des Octobierristes, le « tâcheron de la plume » Samuel Nihilo, anagramme de Louis Hamelin, qui fouille et trifouille l’histoire d’Octobre 70 et de ses commettants, autant dans le passé que dans le présent.

Chevauchant les époques et les lieux avec grand style, donnant à la ronde le rôle du narrateur parlant au je à quelques-uns de ses personnages, Louis-Samuel Hamelin-Nihilo échafaude un grand complot mettant en plans l’armée canadienne, la CIA, la police antiterroriste de Montréal, le Front de libération de la Palestine, les services secrets britanniques – il ne manque qu’Al-Qaïda – pour ensuite le déconstruire lentement et fort habilement dans les dernières pages et en arriver à quelque chose de plausible.

La Constellation du Lynx est une œuvre de fiction… Mais, comme il arrive régulièrement à Louis Hamelin de quitter sa peau d’écrivain pour défendre publiquement des hypothèses que ses recherches approfondies sur Octobre 70 lui ont permis d’établir, comme celle où il affirme que la police a toujours su où la Cellule Chénier du FLQ (les frères Rose,  Francis Simard et le gaspésien Bernard Lortie) détenait le ministre Pierre Laporte – Pierre Lavoie dans le roman – et qu’elle exerçait même une surveillance du lieu à partir d’au moins une maison voisine, certaines des affirmations de ses personnages, surtout Samuel Nihilo et le journaliste Fred Falardeau ( !), sont lourdes de sens et donnent une couleur particulière au roman. Réelle ou imaginaire, la couleur ? On se pose notamment la question quand Hamelin fait du mystérieux François Langlais, alias Pierre Chevrier, membre de la cellule Rébellion, qui avait kidnappé le diplomate britannique John Travers – James Richard Cross et la cellule Libération –, un possible agent secret, et de Nick Mansell, seul anglophone du groupe, une taupe de la CIA. Ces personnages ne peuvent représenter « dans la vraie vie » qu’Yves Langlois, alias Pierre Charrette, et Nigel Hamer, qui étaient membres de la cellule Libération. De même, l’auteur, ou du moins l’un de ses personnages, laisse entendre que les membres de la cellule Chevalier – la cellule Chénier – auraient été manipulés par la CIA par le biais d’une transaction d’armes faite au Texas. Or, les quatre felquistes étaient bel et bien en voyage au Texas quand la cellule Libération du FLQ, menée par Jacques Lancelot Lanctôt, a kidnappé James R. Cross, le 5 octobre 1970. Fiction ? « […] l’imagination romanesque a servi avant tout d’instrument d’investigation historique. » Hamelin va jusqu’à suggérer, tant dans son roman que dans une entrevue qu’il donnait au magazine L’Actualité, que l’otage Cross lui-même, qui avait déjà eu des contacts avec les services secrets britanniques, aurait peut-être été complice du grand complot… Ici, la ficelle est un câble de bateau !

Il est difficile de croire que la CIA ou les services secrets britanniques aient pu s’intéresser aux petits mouvements révolutionnaires du Québec des années 60 et 70, et que le Canada et le Québec pouvaient compter dans ses rangs des militaires, espions et policiers d’élite capables de planifier et de diriger une telle opération de manipulation. Par contre, ce roman de Louis Hamelin, à l’instar de nombreux autres ouvrages sur Octobre 70, montre à quel point le gouvernement fédéral de Trudeau a profité de cette crise pour tenter d’écraser, de manière dictatoriale, le mouvement indépendantiste québécois.

La Constellation du Lynx, de Louis Hamelin, ajoute beaucoup d’information et un peu plus de mystère dans la nébuleuse d’Octobre 70. Nul doute qu’il recèle sa part de vérité, mais il faut néanmoins prendre ce livre pour ce qu’il est : un roman. Mais ce roman, excellent, devrait désormais être un incontournable pour quiconque s’intéresse à cette partie de l’histoire du Québec. Transmetteurs y compris.

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