Les producteurs agricoles et le ministère de l’Agriculture sont à couteau tiré à propos de la refonte de l’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). Le ministère reste obstinément sur sa position et les agriculteurs, sentant plus que jamais leur survie menacée, tentent de faire pression sur le gouvernement en coupant l’accès à leurs terres aux motoneigistes. La question qu’ils posent au gouvernement est simple et n’a rien à voir avec les véhicules récréatifs. Veut-on fermer leur entreprise? Veut-on fermer leur village? C’est avec ce genre de commentaires, et d’autres moins polis, que quelques centaines d’agriculteurs ont accueilli le ministre Lessard lors de sa conférence de presse le 25 octobre dernier à la Ferme école de Mont-Joli.
Réforme de l’ASRA
Le conflit provient de l’insertion d’une série de mesure d’efficacité dans le calcul des compensations de l’ASRA. L’ASRA est d’abord et avant tout une assurance : les producteurs payent une cotisation et reçoivent une compensation si le prix qu’ils obtiennent pour leurs produits ne leur permet pas de couvrir leurs coûts de production. La financière agricole, chaque année, définit un coût de production moyen pour chaque secteur assuré et ajuste les compensations en conséquence. Un des problèmes est que, pour plusieurs secteurs comme l’agneau et le bœuf, les prix du marché ne parviennent jamais à couvrir les coûts de production, si bien que, pour le producteur, la compensation de l’ASRA fait la différence chaque année entre un modeste profit et un déficit, entre du pain sur la table et la faillite.
La mesure contestée par les producteurs est la suivante : dorénavant, les 25 % des entreprises moins performantes économiquement seront retirés du calcul des coûts moyens. Selon l’Union des Producteurs Agricoles, cette mesure correspond à une compression de 80 millions par année qui risque d’entraîner dans la faillite des milliers de producteurs. Pour parer aux difficultés que quelque 2500 entreprises vont devoir affronter suite à l’application de cette mesure, le ministère de l’Agriculture propose un programme de soutien à l’adaptation jouissant d’une enveloppe de 20 millions par année sur 5 ans. C’est ce programme que le ministre Lessard est venu présenter à Mont-Joli devant des agriculteurs. Un programme somme toute bien décevant puisqu’il remplace de l’argent sonnant par des services-conseils et des mesures d’aide à la modernisation et à la diversification.
Survie des régions
L’ASRA a été conçu dans l’objectif de constituer un filet de sécurité pour les agriculteurs. Selon le rapport Saint-Pierre, qui préconise un changement de programme au niveau de la gestion du risque en agriculture, le soutien récurrent à travers l’ASRA de secteurs tels que le veau d’embouche, l’orge ou l’agneau, a crée une fausse impression de sécurité dans ces secteurs. Ce sentiment de sécurité a mené à une surproduction et à un surendettement des entreprises de ces secteurs, le tout dans un contexte ne favorisant pas le développement de l’efficacité et de la compétitivité. En introduisant ces mesures de productivité, le gouvernement tente de corriger le tir et de réorienter l’ASRA vers ses objectifs premiers. L’ASRA, nous dit-on, n’a pas été créé pour financer année après année des secteurs entiers de l’agriculture. Or, pour des raisons principalement climatiques, ces secteurs se sont concentré dans les régions dites périphériques comme le Bas-Saint-Laurent, le Saguenay ou l’Abitibi. Une des raisons pour lesquelles ce fameux 25 % crée tant de remous, c’est qu’il menace de déstabiliser des régions entières. En l’absence d’une vision globale de l’agriculture en région, ou d’une réelle politique d’occupation du territoire, les producteurs se sentent laissés à eux-mêmes et sont inquiets non seulement pour l’avenir de leur propre entreprise ou de leur relève, mais aussi pour l’avenir de leur rang, de leur village, de leur région.
Vers de nouveaux modèles
En établissant un modèle économique pour chaque secteur assuré, l’ASRA promeut une vision de l’agriculture basée sur l’efficacité économique au détriment d’autres modèles, peut-être moins productifs, mais hautement intéressants en termes de respect de l’environnement, de la qualité du produit, ou de l’occupation du territoire. Par exemple, dans le bouvillon d’abatage, le modèle mis de l’avant par l’ASRA implique un gain de poids de 3,3 livres par jour par veau. Selon ce modèle, un producteur atteignant ce niveau de gain avec des coûts de production moyens recevra une compensation lui permettant de couvrir ses frais. Selon Gilles Saint-Laurent, président de la coopérative Natur’bœuf, les producteurs membres de la coopérative réussissent à obtenir un gain de poids de l’ordre de 2,6 livres par jour, et ce, sans implants et sans médicaments. Bien que cette initiative ait été acclamée comme un succès régional, les producteurs de Nature’bœuf sont, aux yeux de l’ASRA, jugés comme inefficaces. L’avenir de l’agriculture, tant au Bas-Saint-Laurent que dans les autres régions du Québec, requiert le développement de modèles de production adaptés à nos conditions régionales. De tels modèles ne peuvent être mis de l’avant sans une vraie volonté politique d‘occuper le territoire.
L’émoi provoqué par le fameux 25 % est la preuve que des actions sont nécessaires et pressantes au niveau de l’agriculture en région. Une chose est certaine, les motoneigistes du Québec devront peut-être songer sérieusement à passer leurs vacances d’hiver sur la plage plutôt que sur leurs engins.