« Radical » signifie qu’on entend remonter, dans l’explication de la subordination des femmes, « à la racine » du système. Le système auquel on fait référence est […] le système social des sexes, qu’on nommera patriarcat. « Radical» signifie surtout qu’on assiste à une toute nouvelle façon de penser les rapports hommes-femmes, se présentant comme « autonome », et sur le plan de la pensée, et sur le plan de l’action.
Louise Toupin, Les courants de pensée féministe1
Je suis féministe.
Depuis longtemps.
Quand j’ai quitté la Grand’Ville, il y a un peu plus de six ans, je n’imaginais pas que, par ce choix de vie, je me lançais dans la marginalité. C’est que voyez-vous, en ville, il pleuvait des féministes dans mon entourage.
On ne faisait pas exprès, mais on se retrouvait souvent ensemble : en colocation, dans les soirées, dans les manifestations, etc. Une question d’affinités, je suppose. Comme c’est le cas pour certaines positions politiques dites plus radicales, la marginalité naît du fait d’habiter en région. C’est la « régionalité » qui rend mon féminisme marginal. D’autres positions, le souci écolo par exemple, sont ici très répandues. Parfois même avec une acuité que les « zurbains », appelons-les ainsi, n’ont pas. Je pense entre autres à l’éolien, domaine où, selon ma propre expérience, il convient d’habiter hors de la ville pour comprendre la complexité de la situation. Mais pourquoi les enjeux verts nous touchent-ils plus que les rapports hommes-femmes? Sont-ils plus près de nous, de notre quotidien? Car vous savez, il y a quelques années déjà que j’ai réalisé que c’était beaucoup plus facile d’avoir des colocs qui aiment le compost que des colocs qui s’inquiètent des projets de loi du gouvernement conservateur menaçant l’accès à l’avortement.
Ici, il y a peu ou pas de lieux d’implication ou de réflexion féministes. Ce qui, évidemment, comporte son lot de défis… D’autant plus que pour beaucoup de gens, le féminisme est dépassé. Alors le radicalisme, n’y songez pas.
Au Bas-Saint-Laurent, quand on adopte une position politique radicale (marginalisée très souvent par la force des choses, ici ma « régionalité »), on est vite étiqueté. Comme « le punk » qui travaille à l’épicerie, tout le monde le « re-connaît ». On est vite catégorisé comme « la féministe de service ». Quand une personne fait une blague macho, par exemple, ou tient des propos sexistes, les regards se tournent; on attend une réaction de notre part. Par exemple, des amis sont venus me chercher lors d’une soirée : « Kat, on a besoin de toi, le coloc de l’autre dit que les femmes sont faites pour rester à la maison! Voyons! Ça n’a pas de bon sens! » On a besoin que « la » féministe lui rétorque une bonne réplique bien punchée dans les dents… Mais pourquoi le commun des mortels ne peut-il pas le faire? Pas besoin d’avoir ses cartes du Parti pour répondre à une réplique qui n’a pas de sens.
Afin de survivre dans la norme régionale, j’utilise, en citoyenne de mon époque, les outils virtuels – autre qualificatif qui déterritorialise? – à ma disposition. Je me réseaute. Oui oui. Car, voyez-vous, je ne suis pas seule, loin de là, à assumer à chaque jour mon féminisme radical. Nous étions plus de 500 féministes de toutes les provinces et territoires du très grand Canada lors du Rassemblement pancanadien des jeunes féministes Toujours RebELLEs à Montréal en 2008. Et certaines d’entre nous sommes toujours en lien, que ce soit par Facebook, par des conférences téléphoniques, des camps d’auto-formations régionaux, ou encore des visites en chair et en os! Lors d’un tel événement, la force mobilisatrice est considérable et essentielle à la survie d’un mouvement qui, selon le message dominant dans les médias, serait mort et enterré. Mais nous sommes là, disséminées aux quatre coins du vaste territoire, d’Iqualuit à Winnipeg, de Vancouver à Rimouski, et nous nous sommes engagées à « Nous unir avec d’autres, trouver des terrains communs, bâtir des communautés, créer des espaces et des rassemblements féministes, sensibiliser, éduquer, diffuser nos idées…2» Afin de ne plus être seules chez nous. Car, le temps de ce rassemblement, je n’étais plus marginale du tout.
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À titre d’exemple sur la perception de la marginalité, quand j’ai dit à ma mère que j’avais une blonde, elle m’a répondu, les mains crispées sur le volant et les yeux braqués sur la route, que dans le fond… ça ne la surprenait pas. Elle m’a dit que j’étais marginale, que j’avais des opinions politiques différentes, et que j’étais végétarienne (!). Ça collait. La différence, c’est que j’ai choisi mes opinions politiques et mon végétarisme. Ma bisexualité, je ne l’ai pas choisie. Mais, comme pour le féminisme, ce que je choisis, c’est de l’assumer, au quotidien.
Notes :
1. Document accessible sur le site : http://netfemmes.cdeacf.ca/document/courants0.html.
2. Extrait du manifeste adopté lors du Rassemblement pancanadien de jeunes féministes Toujours RebELLEs/Waves of Resistance, à Montréal le 13 octobre 2008. Pour consultation de la version intégrale : http://www.rebelles.org/fr/manifeste.