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Le Petit Larousse des marginaux

Par Julien Boisvert le 2009/11
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Le Petit Larousse des marginaux

Par Julien Boisvert le 2009/11

C’est l’heure de la revanche. Habitués à être traités de tous les noms, les marginaux ont développé un riche vocabulaire pour parler des « gens normaux » bien installés dans leur société. Voici un petit lexique incontournable des principales expressions employées pour désigner la norme. Il a été élaboré à partir d’informations recueillies auprès de personnes issues de minorités ou de cultures alternatives – qui n’ont par ailleurs aucune prétention d’être représentatives de leur milieu –, et accessoirement sur des sites web. Dans tous les cas, le monde ordinaire en prend pour son rhume.

BIPÈDES (LES) n. – Surnom donné par des personnes en fauteuil roulant aux gens habilités à marcher. Certains handicapés moins polis utilisent aussi le terme « les deux-pattes » pour désigner les personnes qui marchent. Dans certains réseaux plus politiques, on considère par ailleurs que personne n’est né a priori handicapé. C’est plutôt la société, avec ses infrastructures, qui marginalise certains groupes, notamment en installant des escaliers partout. Dans le langage militant, cette discrimination s’appelle le capacitisme (ou handiphobie ou encore ableism en anglais).

FAUX SOURDS (LES) n. – Ensemble de signes exécutés par les sourds pour désigner péjorativement un sourd qui a une mentalité de personne entendante, qui ne veut pas s’associer à la culture sourde. En opposition aux vrais sourds, qui eux s’assument pleinement, portent en eux une forte identité sourde et refusent d’associer la surdité à un handicap. Dans la Langue des signes québécoise, un « faux sourd » se traduit par un poignet fermé devant le front, sauf l’index bien droit en parallèle avec le front, avec un mouvement circulaire dans le sens horaire.

JOCKS (LES) n. – Diminutif du mot anglais jock strap (coquille de protection). Terme utilisé par les ados rejets pour décrire les gars sportifs qui trônent en haut de la hiérarchie d’une école secondaire. S’adresse plus spécialement à ceux dont les parents payent pour tout et qui ont déjà une belle voiture, une blonde aguichante, des dents blanches splendides et… de mauvais résultats en classe.

ORTHOPHONISTES (LES) n. – Ensemble de signes communiqués par les sourds, accompagnés d’une expression faciale de dégoût ou de découragement, pour évoquer les orthophonistes obsédés par la parole, au détriment de la langue des signes. Les critiques les plus virulentes contre les orthophonistes et les spécialistes en général viennent le plus souvent de l’élite sourde, notamment celle formée aux États-Unis dans la très réputée Université Gallaudet, bâtie pour les sourds et gérée par des sourds.

MONOS (LES) n. – Provient du mot « monosexuel ». Appellation employée avec condescendance au sein des réseaux faisant la promotion de la bisexualité à l’égard des personnes qui restreignent leurs activités sexuelles à un sexe seulement. S’adresse autant aux hétéros qu’aux homos.

NEUROTYPIQUES (LES) n. – Se dit de l’état mental qui afflige les personnes non-autistes. Expression popularisée surtout par les autistes de haut niveau, qui considèrent que leur perception de la réalité n’est ni meilleure ni pire, seulement différente de celle vécue par la majorité dite neurotypique.

NORMOPATHES (LES) n. – Terme employé par certains schizophrènes pour décrire les gens chez qui une absence complète de schizophrénie a été diagnostiquée. « La normopathie désigne la tendance excessive à se conformer à des normes sociales de comportement sans parvenir à exprimer sa propre subjectivité. » (Source : Wikipédia)

RÉFOS (LES) n. – Diminutif du terme « réformistes ». Expression condescendante utilisée par les militants de la gauche radicale à l’endroit des militants modérés qui prônent un changement de société qui soit conciliant avec les classes au pouvoir. Antonyme : révolutionnaire. Exemples de réformisme dans le contexte bas-laurentien : la liste serait trop longue…

STRAIGHTS (LES) n. – 1. Expression utilisée par le monde de la rue, et notamment les utilisateurs de drogues injectables, pour parler des personnes bien intégrées dans la société. 2. Nom donné aux hétérosexuels par les gais et lesbiennes. Terme repris notamment par l’auteure féministe Monique Wittig dans son célèbre pamphlet La pensée straight paru en 1992.

TEXTILES (LES) n. – Sobriquet employé par les adeptes du nudisme à l’endroit des individus qui portent des vêtements. Des critiques plus politiques de la « société textile » ont également été formulées. Selon des idéologues nudistes engagés dans la lutte des classes, l’oppression par le vêtement serait une création de la bourgeoisie libérale. Alors que les espaces réservés aux riches ont été toujours davantage contestés au fil des siècles, le vêtement  serait aujourd’hui un des derniers territoires – d’où son importance pour les bourgeois – qui permettent aux riches de se reconnaître entre eux.

TOURISTES (LES) n. – Expression utilisée dans les cabarets-bistros underground où travaillent les prostituées. Évoque quelqu’un qui n’est pas du coin, et en particulier, les petits messieurs de banlieue qui débarquent dans ces cabarets, en quête d’une partie de jambes en l’air.

Note de l’éditeur : Le Petit Larousse des marginaux ouvre ses pages à du nouveau contenu pour l’édition 2010 – revue et augmentée – qui paraîtra prochainement sur le site web du Mouton NOIR. Pour soumettre vos expressions : julien.boisvert@gmail.com

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