Miami. Los Angeles. Chicago. New York. Las Vegas. La télé et le cinéma nous ont appris que tout y est possible. Et ailleurs? Comment s’y prennent les communautés rurales des États-Unis dans leur quête de prospérité? Quelle place reste-t-il aujourd’hui pour les pionniers d’autrefois? Jean-Philippe Chartrand explore pour nous la ruralité américaine.
Depuis le début de l’été, le président Barrack Obama tente de vendre sa réforme du système de santé aux Américains. Conférences de presse et discours télévisés se succèdent. Ses opposants utilisent les mêmes tribunes pour démolir l’idée d’un rôle accru de l’État dans l’échiquier comprenant assureurs privés, médecins, hôpitaux, malades. Le dossier est complexe et le temps presse lorsqu’on passe à la télé. Les arguments laissent la place aux émotions, aux formules toutes faites. Pour les Républicains qui veulent miner la crédibilité du projet d’Obama, la formule est simple : on doit mettre en garde les citoyens contre la « médecine socialiste » ou « socialized medecine ». On ne sous-entend plus, on affirme que l’État est forcément inefficace, coûteux, incapable d’une saine gestion. Seules les forces du marché, la concurrence et les intérêts individuels peuvent maintenir la performance.
On ne manque pas de rappeler le dynamisme de l’entreprise privée, son énergie, sa capacité d’évoluer. Depuis plus de dix ans, les néolibéraux n’ont pas manqué de mettre dans l’esprit de tous l’idée d’un darwinisme économique, une sélection du plus fort par le marché. Dans bien des secteurs, on voit le processus à l’oeuvre. Secteur manufacturier, services ou commerce au détail, le laisser-aller et la multiplication des initiatives privées généreront forcément de la valeur ajoutée qui profitera à tous.
L’industrie touristique n’échappe pas à ce mécanisme de libéralisation. À Bar Harbor, dans le Maine, une petite ville de moins de 5000 habitants qui s’est convertie au tourisme après avoir délaissé la pêche, on s’attend à tous les excès sous l’influence du modèle américain. Destination peu connue il y a 25 ans, la petite communauté connait actuellement un succès fou : près de trois millions de visiteurs par année fréquentent la région. Dans cette atmosphère de tourisme de masse, on s’attend au pire : congestion automobile, hébergement hors de prix, boutiques de souvenirs du plus mauvais goût, location de 4X4 et de motos marines, discothèques bruyantes, taxis coûteux, espaces verts disparaissant devant les spéculateurs immobiliers.
Celui qui arrive à Bar Harbor aujourd’hui, probablement attiré par l’imposant parc national Acadia, s’imprègne pourtant d’une toute autre atmosphère. Depuis quelques années déjà, les commerçants, les citoyens, la municipalité et les autorités du parc national voisin ont décidé de relever le défi du tourisme durable. À Bar Harbor, les piétons sont rois et les traverses piétonnières abondantes. Au coeur de la petite ville, les espaces verts sont impeccables et systématiquement munis de contenants pour la récupération des matières recyclables. Les boutiques, malgré leur lot de chinoiseries, mettent de l’avant l’artisanat local. Les restaurants sont diversifiés et les franchisés sont peu présents. Les activités offertes sont principalement de caractère écotouristique : excursions de voile et de kayak, observation de mammifères marins, location de vélo. Parmi la clientèle abondante, on dénombre beaucoup de familles. De jeunes parents viennent tout juste d’initier leurs enfants au plein air et repassent en ville pour une gâterie. Ils sont à Bar Harbor, mais pour eux, avant tout, ils sont à proximité du parc Acadia. On passe facilement d’un à l’autre par un impressionnant service de transport en commun : de petits autobus au propane qui se faufilent habilement à travers voitures et piétons. Les rares arrêts, répartis de façon stratégique, permettent un service rapide et ponctuel. Les conducteurs et conductrices – les femmes sont très nombreuses à manoeuvrer les bus – offrent une qualité de service à la clientèle que l’on voit rarement. Devant un tel succès, l’entreprise L.L. Bean, manufacturier et détaillant reconnu d’articles de plein air, est devenue commanditaire du service de transport et y a injecté deux millions de dollars.
Le plus étonnant est d’apprendre que ce service de transport, le système sanguin du tourisme local, est gratuit.
Ainsi, au pays du capitalisme vénéré, une communauté entière vit au rythme d’un parc d’État et de ressources collectives offertes gratuitement ou à peu de frais. Le président américain pourrait s’inspirer de ce succès, ce juste équilibre, et le citer en exemple en disant yes, we can!
Je suis débarqué à Bar Harbor après cinq semaines de vélo sous la pluie à travers les Maritimes. J’ai découvert une Amérique bien différente de ce qu’elle croit être… et c’est tant mieux.