Les terres et les fermes dans nos régions et nos villages sont un patrimoine fondateur de nos communautés. Ces terres ont été défrichées et cultivées par nos parents, elles ont assuré la subsistance de plusieurs générations condamnées à la survivance, elles ont dessiné le paysage et l’architecture de nos territoires. Les fromageries, les petits abattoirs, les petites boucheries, les caveaux à patates, les petits moulins à scie, à farine et à cardes, et les marchés locaux ont structuré la vie économique de nos campagnes pendant que les rituels de l’agriculture, semences-récoltes-labours-boucheries-cueillettes, se mêlaient aux rituels religieux, dans le recommencement sans fin des saisons.
Ce patrimoine inestimable est aujourd’hui en rupture totale de transmission et de relève. Les fermes familiales autosuffisantes disparaissent les unes après les autres de nos régions « périphériques », leurs bâtiments sont démolis ou s’écroulent, les champs sont laissés en friche ou reboisés. Le modèle de ferme privilégié depuis les années cinquante par les dirigeants politiques et agricoles est un modèle industriel qui entraîne infailliblement la fusion et la spécialisation des entreprises agricoles et leur concentration dans la grande région de Montréal, où l’on retrouve les meilleures terres et les plus grands marchés. Ces méga-fermes spécialisées valent plusieurs millions de dollars. La spéculation incontrôlée sur le prix des quotas de production dans le lait, le poulet, les œufs et le sirop d’érable ne cesse de gonfler encore davantage la valeur des exploitations. Si bien qu’elles sont devenues INTRANSMISSIBLES à un individu ou une famille, qui ne saurait disposer d’autant de capital. Elles passent donc, sans trop qu’on s’en rende compte, aux mains d’intégrateurs qui possèdent déjà d’autres chaînons de la filière; les grandes meuneries, les grands abattoirs, les grandes coopératives, les compagnies d’engrais, de pesticides, de semences et d’équipements agricoles. Ce club de plus en plus restreint d’intégrateurs, de financiers et de gestionnaires, qui contrôlent les grandes fédérations de producteurs et les politiques agricoles, se sert en outre de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles pour empêcher les nouveaux producteurs et artisans désireux de s’implanter en agriculture d’avoir accès à la zone agricole et aux programmes de financement publics.
La disparition de l’agriculture familiale et multifonctionnelle est une catastrophe économique, culturelle et humaine, qui fragilise encore davantage les régions dont on a pillé impunément les forêts, les mines et les eaux, et accroît leur dépendance envers les grands centres, les multinationales et les grandes chaînes d’épicerie et de restauration.
La solution à cette rupture de transmission et de relève ne peut venir que d’une restauration majeure de l’agriculture de proximité partout au Québec, un volet essentiel d’une véritable politique d’occupation du territoire et de développement régional.
La Commission Pronovost, sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, a tracé avec une étonnante sagesse les grandes lignes de cette restauration en proposant de faire une large place à une agriculture multifonctionnelle et locale dans le financement public, dans les structures de mise en marché, dans la gestion des quotas de production, dans l’utilisation du territoire agricole et dans la représentation syndicale des agriculteurs.
Depuis la parution du rapport Pronovost en janvier 2008, le gouvernement s’est montré disposé à donner suite à ces recommandations. Il a commandé plusieurs rapports sur la façon de les mettre en application, notamment le rapport Saint-Pierre sur le soutien financier à l’agriculture, et le rapport Ouimet sur le zonage agricole. La ministre Nathalie Normandeau a même affirmé que le gouvernement en ferait le fondement de sa future politique d’occupation du territoire.
Mais l’establishment agricole et agroalimentaire – incarné par l’UPA et le lobby industriel –, y voit une menace au contrôle et aux privilèges que lui assure le régime actuel, qui ne survit d’ailleurs que grâce à une aide accrue de l’État. La Financière agricole, dont les fonds proviennent à 80 % des deniers publics, a versé cette année près d’un milliard de dollars aux producteurs de porcs et aux producteurs de céréales qui nourrissent les porcs. Plusieurs fermes ne sont plus rentables, sont trop endettées et n’offrent plus à leur propriétaire une qualité de vie acceptable. Le statu quo n’est plus soutenable. Notre agriculture doit être réorientée. Mais les dirigeants de l’UPA se sont enfermés dans un déni systématique de la crise agricole et de la crise du territoire. Ils jouent de toute évidence le pouvoir et l’avenir de leur syndicat dans ce conflit, d’autant plus qu’il s’agit d’un syndicat unique à cotisation obligatoire.
La Coalition SOS-Pronovost, de son côté, a réuni des fermes, des groupes d’agriculteurs, de consommateurs, d’écologistes, de nutritionnistes et de citoyens reconnus pour exiger du gouvernement la mise en œuvre des recommandations du rapport Pronovost1. La Coalition estime que les agriculteurs, comme les consommateurs, ont tout à gagner des réformes proposées. De plus, celles-ci ne concernent pas uniquement les acteurs du secteur agricole et agroalimentaire, mais la qualité de l’alimentation et de l’environnement de tous les Québécois, ainsi que le développement territorial du Québec et de ses régions.
Le Parti Québécois et l’ADQ se sont montrés jusqu’ici très vagues et plutôt favorables à l’UPA, par crainte sans doute de perdre leur clientèle électorale qui se situe majoritairement en régions rurales. L’avenir dira si leur calcul électoral paiera. Tel ne fut pas le cas apparemment lors de l’élection récente dans la circonscription de Rivière-du-Loup! Nous sommes peut-être en train d’assister à une rupture historique entre l’UPA et la population.
L’enjeu est clair. Les acteurs sont bien identifiés. Les forces en présence sont colossales. Le dernier bras de fer est prévu pour l’automne, alors que le gouvernement proposera sa nouvelle politique agricole. Une mobilisation importante sera donc nécessaire si on ne veut pas rater ce virage de société auquel travaillent depuis plus de 15 ans des milliers d’agriculteurs déçus, de nouveaux paysans courageux, d’artisans créatifs, de consommateurs responsables, d’intervenants patients en santé, nutrition, environnement, qui ont redonné le goût aux Québécois de se nourrir de produits locaux, personnalisés, biologiques, savoureux et significatifs qui mettent en valeur chaque territoire et chaque « Pays ».
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Notes:
1. Pour de plus amples informations sur la Coalition SOS Pronovost, visitez www.libererlesquebecs.com