J’étais en train de réparer je ne sais trop quoi dans la cour avec un proche. Ils sont arrivés tout à coup. Ils devaient bien être quatre ou cinq en civil, avec autant de policiers en uniforme qui les accompagnaient. Mon ami m’a dit : « Tu serais mieux d’aller voir ce qu’ils veulent. » Ils venaient inspecter la maison. Je n’avais pas le choix.
Je leur ai ouvert la porte. La maison était de fait dans un état pitoyable. Pitoyable? C’est peu dire! Je les accompagnais d’une pièce à l’autre pour établir le constat de l’état des lieux. Ici, le plafond était complètement éventré, des lambeaux de plâtre demeuraient suspendus au-dessus de nos têtes comme autant d’épées de Damoclès, miraculeusement retenus par quelques bouts de treillis de métal dangereusement rouillés et menaçant de s’écrouler sur nous à tout instant. Un peu plus loin, c’est une partie du plancher qui s’était affaissée, laissant un trou béant par lequel on entrevoyait un sous-sol inondé où croupissaient des eaux stagnantes grouillant de flatulences douteuses qui venaient crever à la surface dans des bouillonnements d’un glauque lustré épeurant. Il se dégageait du tout une odeur de souffre amère agrémentée de relents d’œufs pourris. Dégueulasse!
À un moment donné, un des inspecteurs est descendu de l’étage, suffoquant sous son masque à gaz. Ses semblables l’ont escorté jusqu’à la porte, laquelle est sortie de ses gonds au moment où ils ont cherché à l’ouvrir. Elle est finalement tombée, écrabouillant la jambe d’un second. Les autres sont revenus à l’intérieur en me lançant des poignards du fond de leurs prunelles exsangues. Dans un coin un peu à l’écart, droite et impassible, la plus jeune des leurs, ma foi assez coquette dans son petit uniforme trop bien ajusté et d’une blancheur immaculée qui contrastait sauvagement avec le décor ambiant, prenait des notes silencieusement, concentrée sur la tablette où elle consignait consciencieusement le procès verbal de cet épouvantable constat qui n’avait strictement rien d’amiable.
J’ai bien cru que tous allaient s’évanouir au moment où nous avons pénétré dans la cuisine. Sur la table, les restes se déplaçaient tout seuls d’une assiette à l’autre, mus par leur propre pouvoir! Il y avait tellement de vaisselle sale dans l’évier que les pyramides s’accumulaient jusque sous les armoires. Le tout s’est écroulé dans un fracas impossible à décrire à l’instant où le premier rat a surgi de sa cachette. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à ressentir un peu de gêne, surtout quand il m’est venu à l’esprit que leur devoir allait sans doute les obliger à me demander de visiter les cabinets…
Catastrophe! Puis l’un d’eux m’a obligé à le suivre vers le haut au moment où un second commençait à rassembler au centre de la pièce principale tous les objets incongrus qu’il trouvait dans les autres chambres : des matelas éventrés, des roues de bicycle aux jantes tordues, des têtes de poupées Barbie barbouillées de couleurs criardes, un chat mort, des vieux condoms usagés où la vie semblait curieusement avoir trouvé un terrain propice à sa multiplication. C’est en arrivant sur le palier de l’escalier, au moment où le sbire qui m’accompagnait m’indiquait que la tapisserie grouillait de vers qui semblaient surgir directement de l’intérieur des murs, c’est à l’instant précis où j’ai tourné la tête de dégoût d’un coup sec que je me suis heurté à une poutre malencontreusement décrochée du plafond.
C’est à ce moment que je me suis enfin éveillé en sursaut, pour constater avec bonheur et soulagement que les planches au-dessus de ma tête tenaient toujours bon, que mon lit avait encore les allures d’un lit et que les draps n’étaient somme toute pas si dégueulasses. Le plancher n’a pas croulé sous mes pieds quand je me suis levé et ma brosse à dents m’attendait dans la salle de bains, fidèlement plantée dans son rack-à-brosse-à-dents, aux côtés de celle de ma blonde. Aucun microbe insidieux et pervers ne semblait l’avoir contaminée au cours de la nuit. « Mon Dieu, que je me suis dit, mais qu’est-ce qui m’est donc arrivé pour que je fasse un cauchemar aussi horrible? » Puis je me suis souvenu.
Je me suis souvenu que dans les jours précédents, j’avais appris que trois de mes proches sont atteints de cette chiennerie de maladie que je ne nommerai point, mais qui commence de plus en plus à se propager comme cette peste dont La Fontaine a pu dire : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints. » Et puis en y pensant bien une seconde fois, je me suis rappelé que j’avais mangé du Macdo la veille. « C’est ça, c’est le Macdo », que je me suis dit.
Et je me suis préparé pour aller travailler.