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De la sécurité énergétique

Par Hugues-O. Blouin le 2009/09
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De la sécurité énergétique

Par Hugues-O. Blouin le 2009/09

La sécurité énergétique est en voie de devenir l’enjeu le plus rassembleur de la décennie. Ces dernières années, nous aurons appris que tant la démocratie que le développement durable dépendent de la sécurité, voire de la souveraineté énergétique des nations. Plus encore, au moment où les énergies renouvelables devraient avoir le vent dans les voiles, l’énergie qui sécurise est plus souvent qu’autrement fossile. Au Québec, si l’on peut se revendiquer du développement dit durable, il n’est pas rare de voir la question énergétique abaissée au rang de développement tout court. L’exploitation des hydrocarbures présents dans le golfe du Saint-Laurent, ramenée sur la place publique en 2008 lors de la campagne électorale provinciale, puis plus récemment suite à une annonce officielle, pourrait bien tomber dans la deuxième catégorie. Et durera la durable équivoque.

L’énergie pour bâtir le Québec de demain?

Le 27 juillet dernier, la ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, annonçait le lancement d’un programme d’évaluations environnementales stratégiques (EES) visant l’examen des risques potentiels de la mise en valeur des hydrocarbures en milieu marin. Au menu, une étude scientifique divisée en quatre zones géographiques, et des consultations publiques spéciales, le tout pour 3 millions de dollars. Relativement court, le processus des EES doit se terminer en 2011 par le dépôt d’un rapport final avec recommandations, lequel suivra l’étape des consultations locales et en ligne. À noter que rien n’indique si les résultats des études, en tout ou en partie, seront disponibles au moment des consultations. On se souviendra que les EES étaient déjà évoquées dans la publication gouvernementale L’énergie pour bâtir le Québec de demain, La stratégie énergétique du Québec 2006-2015.

L’approche est porteuse de la volonté de Québec d’exploiter le potentiel énergétique du golfe. Question de sécurité. Selon les données prospectives, le site Old Harry, identifié comme prometteur et situé à 80 km au large des Îles de la Madeleine, pourrait fournir deux milliards de barils de pétrole ou quatre billions de pieds cubes de gaz naturel. À titre de comparaison, on produit au Canada 2,5 millions de barils par jour et en consomme 1,85 million. D’autre part, on estime que l’Arctique en renfermerait plus de 90 milliards. Pendant ce temps, aux États-Unis comme en Colombie-Britannique, on s’interroge sur la levée des moratoires actuellement en vigueur sur l’établissement de nouvelles plateformes.

Incertitude scientifique

L’étude devra aborder l’impact des levés sismiques, un procédé de sondage des fonds marins dont l’utilisation dans le golfe a fait l’objet d’audiences au BAPE en 2004. Elles avaient suscité une participation extraordinaire, notamment aux Îles-de-la-Madeleine où le sujet était source de grande inquiétude. Dans son rapport, la commission du BAPE recommandait entre autres de voir à l’approfondissement des connaissances sur les levés sismiques en raison de l’incertitude scientifique qui entourait leurs impacts sur les mammifères marins, le plancton et certaines espèces de poisson. En septembre de la même année, Pêches et Océans Canada publiait un rapport scientifique sur le sujet qui soulignait également l’incertitude quant aux risques et aux mesures d’atténuation de l’exploration pour la faune marine.

On devra ensuite s’attarder aux risques de fuite et de déversement liés à l’opération d’une éventuelle plateforme de forage dans le golfe. La sécurité, dans ce cas, ne peut être garantie, même en se gardant de sombrer dans la sensationnaliste perspective d’un incident majeur. Statistiquement, on doit s’attendre à plusieurs « petits déversements » par année d’opération en mer. La plateforme Terra Nova, située au large de Terre-Neuve, en a causé trente-quatre entre 1999 et 2008, chacun d’eux étant potentiellement et relativement dangereux pour le milieu marin. Aux États-Unis, les données (1991-2000) montrent que l’équivalent d’un baril a été déversé pour chaque millier extrait par les plateformes américaines au cours de cette période.

Selon la Fondation David Suzuki, seulement 15 % d’un déversement peut être récupéré, et ce pourcentage rejoint le zéro lorsque les vents sont supérieurs à 25 nœuds (environ 45 km/h). Ce qui reste court la chance d’être graduellement assimilé par les êtres vivants et d’entrer dans la chaîne alimentaire ou, plus simplement, de les « engluer ». Ce deuxième cas constitue une réelle menace pour les oiseaux du milieu marin, quelques gouttes pouvant suffire à les mettre en danger de mort.

Pour compléter le tableau, des scientifiques affirment qu’il serait encore plus risqué de continuer à miser sur la livraison de pétrole étranger par voie maritime. Au-delà des arguments économiques et géopolitiques, ils notent que la majeure partie des incidents pétroliers est liée au transport ou à la vétusté des installations de forage.

Inquiétude citoyenne

À première vue, le programme d’EES est cohérent non seulement avec la Stratégie énergétique 2006-2015, mais également avec une bonne partie des recommandations émises par le BAPE en 2004. Malgré tout, son annonce a soulevé l’opposition d’une série hétérogène d’acteurs et de commentateurs face à la détermination réitérée du gouvernement à développer la filière des combustibles fossiles dans le golfe.

L’organisme Attention FragÎles est une de ces voix, se prononçant contre toute exploration pétrolière et gazière dans le golfe du Saint-Laurent. La présidente, Danielle Giroux, rappelle l’inquiétude des citoyens à ce sujet, en plus de leur préoccupation concernant le choix de société que cela implique. « On leur doit bien de mettre en place de vraies solutions durables pour assurer la sécurité énergétique du Québec », pouvait-on lire dans un communiqué de presse du 2 août 2009.

Deux jours plus tôt paraissait dans La Presse le surprenant éditorial d’André Pratte intitulé Dire non au pétrole.

Aux Îles, c’est pas pareil?

Le milieu marin madelinot, réputé pour sa richesse et sa précarité, est au cœur de l’économie des Îles par son apport direct et indirect aux revenus générés par les industries de la pêche et du tourisme. Bien qu’il soit évident qu’on veuille le sauvegarder, il n’en demeure pas moins que le besoin de diversification économique se fait cruellement sentir. De plus, comme la source d’électricité locale est une centrale thermique au mazout, on en vient vite à relativiser le problème causé par un approvisionnement en énergie plus rapproché, voire plus propre, comme le serait un nouveau gisement de gaz naturel.

Cependant, l’archipel ne peut qu’avoir en mémoire le déversement de mazout et de BPC causé par le naufrage de la barge Irving Whale en 1970, catastrophe suivie par l’enfouissement à même les plages et les dunes des dizaines de milliers de sacs de sable souillé remplis lors de l’opération de nettoyage. La majorité de ces sacs, dont la toxicité est également source d’inquiétude et de controverse, est encore enfouie. L’extraction, dont la Garde côtière est responsable, est faite au rythme de quelques milliers par année, suivant leur déterrement par la nature.

En sécurité

Il est impossible d’éliminer les risques de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent. On peut seulement les documenter et les réduire, prévoir des mesures de sécurité, des zones et des périodes d’exception. Notre gouvernement, bien au fait de ces données de base, souhaite faire preuve de sang froid et de vision par le développement de cette filière énergétique.

Dans ce contexte, on peut légitimement se demander si le processus des EES n’est pas vain. Existe-t-il une réelle possibilité pour que Québec ne se lance pas dans ce qui pourrait être notre prochaine aventure énergétique nationale? Le 27 juillet, Nathalie Normandeau nous rassurait en affirmant qu’on ne procèderait pas « à n’importe quel prix ».

Ironiquement, le débat public sur la santé, l’environnement et les conflits armés nous rappelle quotidiennement que la sécurité est de ces choses qui n’ont pas de prix. Reste à voir quelle sécurité énergétique prévaudra.

Après tout, quel risque court-on à être en sécurité?

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