Le 24 novembre dernier avait lieu à Rivière-du-Loup le lancement de presse du documentaire Les oubliés de la forêt, réalisé par Raoul Jomphe1. Produit par la CSN, le Syndicat national de la sylviculture (SNS-CSN) et la Fédération des travailleurs et des travailleuses du papier et de la forêt (FTPF-CSN), ce film d’une trentaine de minutes vise à dénoncer les conditions de travail épouvantables des sylviculteurs.
En plus des spécialistes (tels Luc Bouthillier, économiste forestier et ingénieur de l’Université Laval, et Pierre Dubois, ingénieur forestier2) qui ont été invités à s’exprimer dans le film, Raoul Jomphe a recueilli sur le terrain, en Haute-Mauricie et en Gaspésie, les témoignages d’abatteurs manuels (bûcherons), de débroussailleurs et de reboiseurs (planteurs). Les sylviculteurs sont des contractuels qui travaillent à forfait. Leur revenu dépend de leur rendement, un système de rémunération que Claudette Carbonneau, la présidente de la CSN, présente à la conférence de presse après la projection, a qualifié d’« archaïque ». Selon Benoît Laberge, enquêteur sur la charge de travail, les salaires sont parfois coupés de moitié par les amendes qu’infligent aux travailleurs les « contrôleurs de qualité » embauchés par les compagnies… sans avoir la décence de les justifier.
Des chiffres qui en disent long
Ce que le film dit, c’est que, pour obtenir un salaire décent, un débroussailleur doit dégager l’équivalent de 3 terrains de football par semaine, soit 1,5 hectare de forêt, tandis qu’un reboiseur doit planter 2000 arbres par jour. Deux travailleurs témoignent d’une journée typique : ils se lèvent à 3 h 30, mettent deux heures pour se rendre sur le site de travail, commencent leur journée à 6 h et la terminent à 16 h, reviennent à la maison vers 18 h et doivent encore remettre en état leur matériel pour le lendemain. Ils gagnent en moyenne 750 $ brut pour 60 heures de travail par semaine. Les heures de déplacement sont à leur charge, tout comme le carburant et le matériel de sécurité qui ne sont pas fournis. Pas de quoi donner envie aux jeunes de se lancer dans une carrière sylvicole : l’âge moyen des travailleurs est d’ailleurs de 50 ans. Il n’y a donc pas de relève assurée, bien que les travailleurs sylvicoles soient indispensables – pour emprunter le slogan mis de l’avant par le syndicat dans sa campagne de sensibilisation.
Dix ans après L’erreur boréale de Richard Desjardins et Robert Monderie, qui dénonçait déjà les conditions inacceptables des reboiseurs, la précarité est toujours au rendez-vous pour la plupart des quelque 7000 sylviculteurs québécois, car seulement 12 % d’entre eux sont syndiqués, malgré une campagne menée depuis 10 ans par la CSN qui doit contrer plusieurs obstacles : notamment réformer le Code du travail et faire modifier la législation qui autorise actuellement les grandes compagnies forestières à rémunérer les travailleurs au rendement.
Concrètement, la CSN milite pour 1) qu’on crée une société d’aménagement sylvicole, 2) qu’on rémunère les travailleurs selon un taux horaire, 3) qu’on leur accorde certains avantages sociaux tels des assurances et un régime de retraite, 4) qu’on compense leurs déplacements en forêt, 5) qu’on leur assure des normes de santé et sécurité équitables.
Bref, ce documentaire est intéressant dans la mesure où il aborde spécifiquement des problèmes de ce secteur. Bernard Forest, président du SNS-CSN, a mentionné qu’il serait projeté un peu partout sur le territoire, afin de sensibiliser le plus de gens possible à la question.
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Notes:
1. Auteur également du documentaire Phoques – Le film (2007).
2. Il est aussi l’auteur, notamment, des Vrais maîtres de la forêt québécoise (préface de Richard Desjardins), Montréal, Éditions Écosociété, 2002.