
Originaire de La Pocatière, l’artiste peintre Jean-Marie Martin vit et travaille à New York depuis plus de 20 ans. Bachelier de l’Université Laval, il a de plus complété une scolarité de doctorat à l’Université de New York. Ayant épousé une Américaine, c’est cependant par choix qu’il a opté pour la nationalité du pays de George W. Bush, dans le but justement de devenir un citoyen à part entière et d’avoir ainsi voix au chapitre. Car, pour Jean-Marie Martin, l’art n’est pas qu’une question d’esthétique. Incrustés au cœur même de l’œuvre, couleurs, formes et choix éditoriaux peuvent aussi servir à remettre en question les travers d’une société fébrile que l’artiste connaît si bien pour en habiter le cœur.
L’empreinte de l’école formaliste est manifeste dans l’œuvre de Jean-Marie Martin. On y décèle en effet l’influence d’un Claude Tousignant et de ses célèbres cibles, celle de l’art cinétique d’un Victor Vasarely ou des artistes de l’abstraction américaine des années 60 tels Frank Stella ou Kenneth Noland. Mais, comme le mentionnait Corine Bolla-Paquet à l’occasion d’une exposition tenue en 2006 à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval, « contrairement à ces artistes dont les œuvres étaient le reflet d’enjeux esthétiques mis de l’avant par l’abstraction géométrique, les œuvres de Martin affichent un souci social qui est absent des œuvres de ses prédécesseurs […] ».
Le fait social est en effet primordial aussi bien dans la vie que dans l’œuvre picturale de Jean-Marie Martin. Qu’il s’agisse de questions environnementales, de la prolifération des armes à feu dans la société américaine, de la paranoïa relative à la sécurité nationale ou de l’absurdité mensongère de la guerre en Irak, l’artiste revêt les habits d’un Michael Moore et n’hésite pas à se faire lui-même enquêteur dans le but de documenter son œuvre. Ainsi parcourra-t-il les Wal-Mart et autres chaînes de même acabit dans le but de vérifier à quel point il est aisé de s’y équiper en matière d’armes à feu et de munitions, ou d’acheter de la peinture au plomb, des pesticides ou du nitrate d’ammonium, des produits dont la vente est pourtant interdite. Une fois regagné son atelier, c’est ce constat que l’artiste cherchera à intégrer à l’œuvre, non pas en transformant son tableau en un réquisitoire sanglant mais plutôt en insérant à même un fond abstrait et hautement coloré un signe, une trace, voire un artefact qui traduise ce malaise d’une manière bien concrète. Le résultat est saisissant du fait justement de la présence incongrue, parfois difficile à déceler parce que devenue objet esthétique, de cet ajout qui jure ou se confond avec le reste de la toile.
Ces récentes années nous ont habitués au cri strident d’artistes qui s’opposent d’une manière véhémente à un néolibéralisme outrancier dont les tentacules tendent à squatter l’ensemble de la planète. Le plus souvent, la contestation s’avère féroce et, se délestant de tout repère esthétique, l’œuvre elle-même semble ne chercher à investir que les champs de la provocation, comme si ce recours ultime s’avérait le seul moyen pour contrer les agressions permanentes du système. La démarche polémique de Jean-Marie Martin procède du même constat, mais le résultat diffère en deux points bien précis. D’une part, l’artiste ne semble jamais tout à fait quitter les rives du formalisme comme ci ce cadre bien défini s’avérait le fondement même de son art. D’autre part, si l’artiste se pose en pourfendeur des excès et des travers de la société américaine, il aime y vivre et il n’en demeure pas moins amateur de « beaux objets », un choix qui se reflète dans son esthétique. Ainsi peut-on retrouver placés au centre de la toile un diamant de quelques carats, un foulard Hermès ou une boucle d’oreilles Gucci, autant de symboles de la richesse ainsi travestis par l’art, et dont l’inclusion se veut une critique du monde capitaliste.
Un Québécois à New York, ainsi pourrait-on définir Jean-Marie Martin tant les influences qui ont marqué l’artiste procèdent de ces deux pans de réalité. Et pour le plus grand bonheur de la population bas-laurentienne, ce Québécois new-yorkais investit cet automne les murs du Musée du Bas-Saint-Laurent, proposant notamment un corpus composé majoritairement d’œuvres inédites où la politique et la guerre occupent une place prépondérante.