Actualité

Mille miroitements 
d’ailes d’oies

Par Pierre Landry le 2007/11
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Mille miroitements 
d’ailes d’oies

Par Pierre Landry le 2007/11

Toutes saisons confondues, je roule sur les routes de ce pays en état de choc permanent, saisi à chaque tournant par quelque pan de beauté qui se dresse soudain devant moi et me laisse bouche bée. Les longs travellings sur les terres mouilleuses dans la plaine du Kamouraska, les plongées soudaines qui glissent sur le roux des berges du Bic et s’affaissent sur ses îles, les gros plans sur les Pèlerins ou les Laurentides quand l’automne vous les garroche en plein visage, quand le paysage vous assaille et vous saute à la gorge jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à vous faire rendre l’âme, ou tout au moins à vous rappeler que vous en avez encore une. Mon amour du Bas du Fleuve ne peut se décliner qu’à l’aune de sa beauté.

Pas difficile de fabuler et de se créer son propre cinéma lorsqu’on dispose d’un fond de scène d’une telle magnificence. Avec un minimum d’imaginaire le moindrement allumé sur les réalités du passé, on peut aisément voir des canots contourner la Pointe de la rivière du Loup, le lacet des embarcations se déployant sur les eaux grises et semant la pagaille parmi les oies blanches. D’innombrables parcelles du territoire étant demeurées dans l’état où nos ancêtres les ont connues, et ce, sur maintes berges du Saint-Laurent, il suffit de connaître un tant soit peu l’historique des premiers peuplements pour entrevoir une vie modeste et calme s’animer çà et là. De petites maisons bancales, on dirait probablement aujourd’hui des cabanes, flanquées d’un ou deux bâtiments, adossées à un arrière-pays encore noir de forêts et menaçant. Ici et là, une chapelle construite trop près de l’eau et dont l’usure du temps, alliée aux grandes marées et aux grands vents, finira par gruger les fondements. Avec l’expérience et les goussets du peuple qui ont pris un peu de ventre, on construira dorénavant les églises en pierres et sur le roc – Pierre tu es pierre. Du simple point de vue matériel, la vision de ces bâtisseurs était juste. Les clochers dominent toujours le paysage, les bâtisses ont traversé l’épreuve du temps mais ce sont d’autres marées et d’autres grands vents qui les grugent aujourd’hui, de l’intérieur cette fois, menaçant leur utilité première et laissant pantoise toute une génération vieillissante.

Il n’y a pas si longtemps, ce sont les gens du peuple qui construisaient les maisons, ce sont les gens du peuple qui faisaient la musique, ce sont les gens du peuple qui confectionnaient les vêtements, cultivaient les aliments qu’on mangeait sur place. Chaque avancée amenait un développement un peu semblable à celui qui l’avait précédé, les maisons prenaient du mieux, elles devenaient de plus en plus confortables, mais elles s’inscrivaient dans une continuité, matériaux identiques puisés à même les ressources du milieu, ornementation de plus en plus variée se nourrissant de nombreuses influences mais prise en charge par les mêmes artisans locaux qui rajoutaient ainsi des cordes à leur arc. Ainsi les villages se développaient-ils un peu à la bonne franquette mais avec une certaine unité dans l’architecture et dans l’espace entre eux, de l’espace entre les maisons, des jardins, des bâtiments d’utilité. On ne nivelait pas les ruisseaux, ils s’intégraient naturellement à l’environnement des lieux.

Beaucoup du meilleur de cette époque nous est resté et on s’affaire aujourd’hui à juste titre à conserver ce qui subsiste encore de ce qu’on a maintenant baptisé le patrimoine bâti, et pour le mettre en valeur.

Mais la tendance lourde… On n’arrête pas le progrès, on nous l’a assez dit et personne, strictement personne, ne voudrait retourner à ces « belles années » où la tuberculose germait pourtant dans les campagnes miséreuses et mal chauffées; personne aujourd’hui (personne?) n’accepterait que l’ensemble de la société évolue sous l’autorité d’une institution religieuse; personne ne voudrait retourner à l’époque des quinze enfants où les abus de toutes sortes se tramaient dans l’ombre et sous la férule de la toute puissance du pater familias.

Mais qu’il soit construit sur le site le plus pittoresque, en bordure du fleuve, ou à l’orée d’un champ où les grains mûrissent dans une orgie de teintes d’ocre et d’or; qu’il soit implanté à l’ombre d’une modeste montagne où le feuillage des érables déploie sa folie de rouges; qu’il m’apparaisse à l’heure du couchant au milieu de mille miroitements d’ailes d’oies, jamais, jamais au grand jamais je ne pourrai trouver un Wal-Mart beau.

Jamais.

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