C’était à l’Échofête, le 29 juillet. Je l’avais croisé par hasard la veille, lui que L’Actualité, dans son numéro d’avril dernier, consacrait la « star incontestée des écolos ». Accompagné de sa conjointe et de ses trois enfants, je l’ai rencontré alors qu’il venait juste d’envoyer, au poste Internet du Parc de l’aventure basque, sa chronique au journal Métro dont il est l’un des collaborateurs. Après notre entrevue, il devait aussi participer à l’émission À voile ou à vapeur sur la Première Chaîne de Radio-Canada. Occupé, Steven Guilbeault? Oui, mais aussi simplement en vacances, avec sa famille. Il a commencé par évoquer le sujet de sa chronique à Radio-Canada, la conciliation du travail et des vacances familiales, le plaisir que lui et les siens éprouvent à se trouver dans le Bas-du-Fleuve, leurs randonnées passées à vélo, en Gaspésie, et puis nous sommes entrés dans le vif du sujet… et les 45 minutes de l’entrevue étaient déjà passées.
Nous n’avons pu reproduire qu’une toute petite partie de l’entrevue dans l’édition papier du Mouton NOIR. Nous avons délibérément retenu les passages où il traite de l’éolien et des projets de ports méthaniers, sachant qu’il s’agit d’enjeux majeurs pour le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie. Steven Guilbeault tient des propos étonnants, qui vont à contre-courant des idées véhiculées jusqu’ici dans Le Mouton NOIR.
Mouton NOIR – Que signifie pour vous l’Échofête?
Steven Guilbault – L’Échofête, c’est plusieurs choses, dont un symbole très important qui est né du désir d’un groupe de jeunes de la région de s’opposer à un projet de petit barrage hydroélectrique. Ces jeunes ne voulaient pas juste s’opposer, mais proposer autre chose. […]
L’Échofête, c’est un beau symbole, parce que les organisateurs ont proposé une alternative à plusieurs volets. Il y a un volet économique : toute l’activité touristique générée qui est, selon les organisateurs – et je n’ai aucune difficulté à les croire – au moins dix fois supérieure à ce qu’aurait rapporté le barrage. C’est un événement festif aussi, et c’est intéressant. Souvent, en environnement, les débats peuvent être un peu lourds. On parle de changements climatiques et, en tant qu’individu, on peut trouver ça écrasant. Alors qu’à l’Échofête, oui, on va parler de changements climatiques, mais il y a aussi du taï chi, des ateliers très pratico-pratiques sur le compostage, les sacs réutilisables, on nous donne toutes sortes de conseils. Il y a un volet éducatif, et puis il y a une place importante pour la jeunesse (c’est rare qu’on soit dans une conférence où il y a autant d’enfants, et les enfants – les miens en premier – y trouvent leur compte. Ils ont adoré le Starlab, un planétarium mobile de la Station Aster.)
L’Échofête, c’est donc un mariage entre la culture, l’environnement, l’économie et la société. […]
À l’Échofête, on recycle, on composte, on prêche par l’exemple (les chopes de bière réutilisables); ce sont tous des ingrédients d’un bel événement de développement durable, et on n’en a pas assez au Québec.
M. N. – N’y a-t-il pas justement une sorte de mouvement qui est en train de naître au Québec? Il y a eu aussi Montréal sur terre, au début de juillet, auquel vous avez participé…
S. G. – C’était extraordinaire. J’ai eu la chance d’animer cette soirée-là. Même si les gens disent qu’Éric Lapointe n’est pas un gars engagé, je me suis posé la question à savoir si on n’avait pas intérêt à aller chercher des gens qui ne sont pas eux-mêmes, ou leur public, très engagés. Je n’ai jamais fait d’étude là-dessus, mais je n’ai pas l’impression que dans le cadre de mon travail, je réussis à rejoindre les fans d’Éric Lapointe. Là, pendant une soirée, ils étaient avec nous. […]
L’écologie doit être capable de parler à d’autres gens que les écologistes, à des gens qui ne sont pas des convertis, et il y a toutes sortes de façons de le faire. Moi, je crois qu’on se dirige de plus en plus vers de grands consensus sociaux sur ces questions, même auprès de l’élite économique.
Je pense qu’il faut aller de plus en plus vers ces gens-là, s’asseoir avec eux. Des fois, on va s’entendre sur le fait qu’on ne s’entend pas. Je suis souvent en discussion avec des gens de Gaz Métro avec qui on essaie de faire avancer un projet. Je travaille avec eux sur un projet de coopérative d’habitation écologique à Montréal. Gaz Métro va nous fournir la technologie pour un système de chauffage hyper efficace, de la géothermie au gaz naturel. En même temps, sur le projet de Rabaska, on ne s’entend pas. C’est pas parce que je ne m’entends pas avec eux sur le projet de Rabaska que je ne peux pas leur parler d’autre chose. […]
M. N. – Pour ce qui est du développement éolien, est-ce qu’il n’y a pas lieu de remettre en question la façon dont ça se fait, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, en milieu habité? Les promoteurs entretiennent une culture du secret qui est malsaine. Les MRC n’informent par les citoyens du fait qu’il peut y avoir des éoliennes qui s’installent sur le territoire…
S. G. – Il y a plusieurs éléments dans la question. De façon générale, la population est favorable à l’éolien. Même s’il y a eu des problèmes avec la mise en œuvre du développement de la filière éolienne au Québec, je ne mettrais pas tous les promoteurs dans le même panier. J’ai participé à plusieurs audiences du BAPE à Murdochville, à l’Anse-à-Valleau, à Baie-des-Sables. Je suis allé à une journée d’information à Baie-des-Sables. Il y a des promoteurs qui jouent cartes sur table, qui ont une approche très honnête par rapport au développement. Je prends l’exemple d’Innergex. Je n’ai pas entendu d’opposition aux projets d’Innergex. Mais Northland Power, la nouvelle version du projet d’Axor, SkyPower… il y a des promoteurs qui sont arrivés gros-jean-comme-devant, un peu comme des cow-boys, et qui ont essayé de « bulldozer » tout le monde. Et c’est pas parce que c’est de l’éolien, donc une filière énergétique plus propre, qu’on peut faire ça n’importe comment.
M. N. – C’est donc moins un problème environnemental que politique?
S. G. – Et de démocratie. En même temps, je trouve qu’on n’est pas toujours très honnête, quand on dit par exemple qu’une éolienne rapporte 400 000 $ et qu’on donne juste 2500 $ à l’agriculteur. Ce ne sont pas 400 000$ qui vont dans les poches du promoteur à chaque année. Le retour sur l’investissement de ces projets-là est autour de 8 à 9% pour les investisseurs. Hydro-Québec a un rendement supérieur à ça. Et c’est une société d’État.
Il y a aussi toute la question à savoir si on devrait nationaliser l’éolien. Il n’y a pas d’exemple dans le monde où une société d’État a fait ça. Il faut bien voir que l’éolien est très différent du développement hydroélectrique. Ce sont de petits parcs. 100 MW, pour Hydro-Québec, c’est de la galette, quand on pense à La Grande 1 et 2, aux projets sur la Côte-Nord. Moi, je ne suis pas si convaincu que ce serait tellement moins cher si Hydro-Québec le faisait. Mais il aurait au moins fallu faire l’exercice, ouvrir les livres et se poser la question.
Sur le communautaire, je pense que c’est très bien qu’on en fasse. Mais si on faisait seulement de l’éolien communautaire, est-ce qu’on serait prêt à payer deux fois plus cher notre électricité? Est-ce que la population du Québec est prête à payer 12 cents le kw/h sur sa facture d’électricité? Quand on parle du communautaire, on ne dit souvent pas que, du point de vue de l’acceptabilité sociale et locale, c’est beaucoup plus intéressant, mais en tant que société québécoise, ç’a des inconvénients importants.
Pour ce qui est du milieu habité… Plus on s’éloigne des centres de consommation, plus ça coûte cher de transporter l’électricité. C’est aussi un enjeu. Autant il y a des promoteurs qui n’ont pas d’allure et des projets qu’on ne devrait pas accepter, autant je trouve que nous, des fois, on n’est pas tout à fait honnête dans notre critique de l’éolien et dans nos propres positions. […]
Cela étant dit, je pense que le gouvernement a compris qu’il y avait un problème. On commence à corriger la situation, à donner des moyens aux MRC. Plus la population est informée, plus il y a de chances d’avoir des projets qui ont une bonne acceptabilité sociale. Et un agriculteur signera ou ne signera pas en toute connaissance de cause. […]
M. N. – Que pensez-vous des projets de ports méthaniers à Cacouna et à Rabaska?
S. G. – Je ne suis pas nécessairement contre le gaz naturel. Ça dépend de ce qu’on en fait, ça dépend du contexte énergétique. En Ontario, en Allemagne, en Nouvelle-Écosse, où on utilise plein de charbon ou du nucléaire, le gaz naturel, ça peut être intéressant. Au Québec, je n’en suis pas sûr. Mais en même temps, Gaz Métro dit qu’il y a encore plein de mazout utilisé au Québec dans des écoles, des hôpitaux, plusieurs institutions, des entreprises, et aussi dans le secteur industriel lourd qui se sert de mazout dans ses procédés. Si on remplace tout ça par du gaz naturel, c’est plus intéressant. Est-ce qu’il y a une demande pour justifier un, même deux ports méthaniers? Je n’en suis pas sûr. Est-ce qu’il n’y a pas des solutions plus intéressantes que le gaz naturel – la géothermie, le solaire thermique, etc.? Les gens qui connaissent ça plus que moi me disent que non, pas vraiment. Pour le chauffage, il y a de plus en plus d’exemples intéressants de solaire thermique. […]
Je ne suis pas nécessairement contre le gaz naturel, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne filière de développement énergétique pour le Québec. Et d’un point de vue économique, c’est un drôle de développement, parce que ce qu’on fait, c’est qu’on exporte des dollars à l’extérieur du Québec. Est-ce qu’on a examiné – j’ai l’impression que non – les alternatives d’un point de vue environnemental, économique?
M. N. – Les besoins n’ont pas été évalués.
S. G. – Les besoins non plus. Quelle est la quantité de mazout qui est encore utilisée?
Je ne veux pas non plus tirer sur le BAPE. Je trouve que c’est délicat. Il y a déjà plein de gens dans le secteur industriel qui voudraient s’en débarrasser. Si, en plus, les écolos se mettent à dire que le BAPE, c’est pourri, le gouvernement va dire qu’on n’en a plus besoin. Les écolos n’en veulent pas; les industriels non plus, ce sera : « Merci, bonsoir! »
Le BAPE nous a dit qu’au niveau de la sécurité et des baleines, ça semblait aller.
M. N. – Mais les chercheurs du GREMM et de l’Institut Maurice-Lamontagne ont dit le contraire.
S. G. – Oui. Sans remettre en question les motivations des commissaires du BAPE ou leur compétence, je pense que là-dessus, ils sont peut-être allés un peu vite. Mais sur la justification des projets, sur la nécessité des ports méthaniers, je voudrais être convaincu.
M. N. – Merci beaucoup, Steven Guilbeault, de nous avoir accordé cette entrevue.