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Des oiseaux contre des moulins à vent : pourquoi s’en préoccuper ?

Par Magella Guillemette le 2007/09
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Des oiseaux contre des moulins à vent : pourquoi s’en préoccuper ?

Par Magella Guillemette le 2007/09

Depuis le début du dossier éolien au Québec, les enjeux environnementaux ont largement été évacués du débat, vraisemblablement parce que cette filière énergétique est qualifiée, d’entrée de jeu, d’énergie verte et qu’elle pourra alléger le recours à d’autres formes d’énergie plus polluante comme les combustibles fossiles. On est à même de se demander cependant dans quel registre de l’énergie verte se situe réellement l’exploitation du vent. Un aspect environnemental qui été mentionné à quelques reprises est celui de l’altération des paysages alors qu’un aspect négligé jusqu’à maintenant dans les médias québécois est celui de l’impact négatif que peut représenter la filière éolienne sur la faune ailée. Hé! oui, les oiseaux ont la fâcheuse habitude de percuter les structures qui bourgeonnent ici et là dans le paysage, à commencer par les édifices des grandes villes, en passant par les tours de communication toujours imposantes et même les fenêtres donnant sur l’arrière-cour de votre paisible demeure.

Collisions avec les éoliennes :
fait ou fiction?

L’étude des interactions entre les oiseaux et les éoliennes est complexe, mais l’aspect le plus urgent dans le contexte actuel du développement éolien au Québec est celui des « couloirs » de migration, c’est-à-dire ces « autoroutes » utilisées par des millions ou même des milliards d’oiseaux qui, dans leur rituel saisonnier, oscillent entre des aires nordiques de nidification et les aires de repos au sud. Certaines espèces migrent en altitude, dans la froidure des plus hauts sommets de la planète, et ne sont donc pas vulnérables, tandis que d’autres se déplacent parmi les éléments du relief terrestre en s’arrêtant ici et là, soit pour se reposer, soit pour refaire le plein et sont donc plus susceptibles de heurter les éoliennes lors de leur passage. Dans une revue scientifique récente, on rapporte que la probabilité de collision varie de 0,05 à 23 mortalités par année, par turbine. Si ces données sont réalistes, elles impliquent que le problème de collision est négligeable dans certains cas et qu’il est substantiel dans d’autres.

L’altitude à laquelle se déplacent les oiseaux migrateurs n’est pas fixe, car plusieurs espèces vont réduire leur altitude de vol en présence de mauvaises conditions atmosphériques (brouillard, pluie, nuages). Les éoliennes actuellement en construction dans le Bas-Saint-Laurent peuvent atteindre facilement 100 mètres de haut alors que les nouveaux capteurs de vent pourront atteindre de 150 à 200 mètres. À ces hauteurs, les autorités exigeront la mise en place de lumières pour ainsi empêcher les collisions avec les aéronefs. Il s’agit d’une préoccupation majeure, car il y a plusieurs preuves que l’illumination de telles structures engendre des mortalités de masse chez les oiseaux, comme cela a été documenté aux États-Unis et en Europe. Un exemple extraordinaire de mortalité de masse associée à la lumière est celui de 30 000 individus représentant 56 espèces heurtant une seule tour en deux nuits au Wisconsin. Un exemple plus récent de collision de masse, qui est à la fois triste et cocasse, est celui impliquant les installations d’un groupe de chercheurs allemands qui étudiaient l’effet de parcs marins d’éoliennes sur les oiseaux migrateurs. Leur plate-forme, équipée de matériel sophistiqué pour détecter les oiseaux en vol, érigée en pleine mer et surmontée de lumières pour des raisons de sécurité, a causé au moins 440 mortalités (surtout des passereaux) en l’espace de deux nuits seulement! Les auteurs rapportent que l’attraction des oiseaux migrateurs pour la lumière est exacerbée par les mauvaises conditions météorologiques. Les fines gouttelettes d’eau, que l’on trouve par exemple dans le brouillard, ont pour effet d’augmenter davantage la confusion des oiseaux volant près des structures humaines. C’est d’autant plus préoccupant pour les populations d’oiseaux européens que la très grande majorité des parcs éoliens seront érigés en pleine mer et équipés de lumières pour des fins de sécurité en matière de navigation côtière.

Autres sources de mortalité :
problème? quel problème?

Beaucoup de promoteurs ou de gens en faveur de l’énergie éolienne ont minimisé l’effet de telles structures sur les populations d’oiseaux. L’argument clé est que le taux de collisions causées par les éoliennes est faible comparativement à d’autres sources de mortalité connues. Par exemple, des estimés de mortalité d’oiseaux causée par les chats démontrent que ces prédateurs peuvent être responsables d’une centaine de millions à un milliard de victimes par année, aux États-Unis. Les collisions provoquées par les fenêtres des maisons ou des buildings commerciaux (environ 80 millions de victimes aux États-Unis) sont aussi plus élevées que celles causées par les éoliennes actuellement en fonction. Bien que ces données puissent aider à mettre les choses en perspective, il s’agit à mon point de vue d’un faux argument car les oiseaux capturés par les chats ou victimes de collision avec les automobiles n’appartiennent pas aux mêmes espèces (comme le Moineau domestique ou le Junco ardoisé) victimes de collision avec les éoliennes. Il est peu probable que votre chat rapporte un Aigle doré (ce serait plutôt l’inverse) dans le boudoir de votre demeure ou qu’un Arlequin plongeur soit happé par votre automobile. De plus, il arrive souvent que les biologistes ne donnent pas la même valeur écologique à une espèce par rapport à une autre. Par exemple, les rapaces sont des oiseaux de grande longévité, en haut de la chaîne alimentaire, et la perte de quelques-uns de ces individus peut représenter une proportion appréciable de la population.

Enfin, il est facile d’imaginer que les édifices et les maisons unifamiliales ne causaient aucune mortalité avant l’arrivée de l’homme blanc en Amérique. Il est donc tout aussi facile d’imaginer que les capteurs de vent seront de plus en plus nombreux dans le paysage et que l’effet de ces moulins à vent sur les populations d’oiseaux, quelle que soit son amplitude, ne sera qu’accentué.

Le principe de précaution et la solution
du gros bon sens

Étant donné que le potentiel d’effet négatif des éoliennes est réel mais largement inconnu et que le Québec abrite d’importantes populations d’oiseaux résidants et migrateurs, il serait approprié d’appliquer le principe de précaution et d’éviter de placer les futurs parcs à proximité de concentrations d’oiseaux ou juste en dessous des couloirs migratoires. Le problème, c’est que nous pouvons difficilement appliquer ce principe dans le cas présent, car nos connaissances des couloirs migratoires d’oiseaux qui transitent par le Québec sont pratiquement nulles et se limitent au cas de la Grande oie blanche et à quelques autres espèces pour lesquelles nous ne pouvons faire que des approximations (par exemple, le Bécasseau semi-palmé). Pour ce qui est de la centaine d’autres espèces qui survolent le Québec durant leur périple saisonnier, c’est le noir total. Bien que cet état de fait puisse refléter un manque d’intérêt des autorités, il illustre encore une fois à quel point l’absence flagrante d’information sur les milieux naturels se voit révélée lors de la mise en place d’un projet de développement majeur (on n’a qu’à penser à l’exploration gazière dans le Saint-Laurent et à son possible effet sur les baleines). C’est d’autant plus problématique qu’il n’y a aucune contrainte régissant le choix des emplacements des futurs parcs sauf celle de choisir les meilleurs gisements de vent.

Les oiseaux migrateurs sont reconnus depuis longtemps pour utiliser les vents dominants pour faciliter leur long périple. La migration des rapaces suivant les côtes à la recherche des remontées d’air chaud est l’exemple le plus patent. C’est dans ce contexte qu’il faut se préoccuper de l’effet potentiel des parcs d’éoliennes sur les populations d’oiseaux.

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