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Quand l’abstention est-elle moralement justifiable

Par Mathieu Perchat le 2023/10
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Quand l’abstention est-elle moralement justifiable

Par Mathieu Perchat le 2023/10

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

Avec la nouvelle carte électorale qui va être appliquée pour les prochaines élections, une levée de boucliers de la part des élus du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie sonne l’inadéquation de cette mesure. En effet, les député.es mettent en garde contre la difficulté à pouvoir représenter adéquatement un trop vaste territoire qui présente une grande diversité.

Ce risque de représentation défaillante se dirige vers une accentuation de la baisse du taux de vote, en raison de cette absence de sentiment de représentativité.

Ce qui nous donne la possibilité de nous demander s’il est moralement justifiable de ne pas voter, même si on ne se sent pas représenté.

La baisse du taux d’abstention électorale entraine une perte de légitimité de l’élection, mais aussi une accentuation de l’absence d’intérêt politique pour une partie de la population, car de moins en moins représentée et considérée (Vandamme, 2023, p. 219).

Les personnes en faveur du vote invoquent souvent le devoir civique pour justifier cet acte comme obligatoire. Alors que certain.es abstentionnistes traduisent leur absence de vote par une désapprobation du système politique ou des candidat.es. De ce fait, « la liberté de choisir ses représentants n’implique-t-elle pas celle de ne pas choisir ? » (Vandamme, 2023, p. 219).

Le vote comme acte significatif

Pour justifier l’abstention, il existe deux types de réflexions : celle de la liberté de choisir son vote, et celle du faible impact du vote individuel.

La liberté du choix de vote n’induit pas que chaque façon de voter est moralement équivalente. Il faut dissocier le droit légal de voter et le droit moral de voter.

Le droit légal traduit le principe de liberté de vote une fois la majorité atteinte. Alors que le droit moral indique la manière de voter. Par exemple une personne qui vote en utilisant un pile ou face (ou autre critère non pertinent) entraine une désapprobation de son vote. Car voter, c’est exercer indirectement un pouvoir sur autrui en acceptant qu’un pouvoir politique exerce de potentielles répressions sur une partie de la population (Vandamme, 2023, p. 221).

Ce qui amène directement à la seconde justification, traduisant l’infime impact d’un vote individuel sur le résultat final. L’acte moral de voter en devient alors très dérisoire.

Or, c’est oublier le caractère fondamentalement collectif de l’acte de voter dans lequel ce dernier prend sens. « C’est une erreur de jugement de se focaliser sur l’impact de son vote individuel » (Vandamme, 2023, p. 222).

Le caractère collectif se manifeste dans l’impact général et profond qu’entrainent les votes, pouvant parfois mettre des vies en périls, par exemple avec des programmes d’immigrations, l’aide au développement ou les politiques environnementales.

En sortant de la perspective individualiste et en réintroduisant la perspective collective qui donne sens au vote, alors le caractère moral de l’acte de voter devient indéniable.

Implication de la dimension collective du vote

La dimension entraine une position de responsabilité envers les populations les plus vulnérables, car il est possible de protéger leurs intérêts ou d’améliorer leur situation par le vote. Et l’acte de vote représente un coût très faible pour la personne qui le produit.

« La capacité d’assistance à autrui liée au vote est donc indéniable » (Vandamme, 2023, p. 224).

Pourtant, on pourrait trouver à redire du caractère raisonnable du coût lié au vote. Par exemple, affirmer qu’obtenir de l’information pour produire un vote éclairé est trop élevé, justifiant l’abstention. Toutefois, cette objection n’est pas recevable, car s’informer pour voter est un devoir moral abordé précédemment. Il ne faut pourtant pas oublier l’inégalité dans l’accès à l’information, ce qui pourrait entrainer un sentiment de ne pas être suffisamment équipé pour réaliser un vote qui ne ferait pas de tort à autrui (Vandamme, 2023, p. 224). Mais elle ne justifie en rien l’abstention.

Concernant encore le cout lié au vote pertinent, une autre objection pourrait avancer un sacrifice que devraient réaliser les classes sociales privilégiées ou les pays riches. Or, ce coût n’est en réalité qu’une renonciation de privilèges reposant à l’origine sur des injustices. Le devoir moral exige alors de corriger cette injustice, même si nous en tirions des avantages.

L’objection du cout lié au vote tiendrait uniquement si la contrepartie du vote moral nous demandait des sacrifices qui dépassent notre juste part. Par exemple si un parti politique nous demandait de consacrer l’entièreté de notre temps à la lutte contre les injustices. Ce qui est loin d’être le cas.

En résumé, « si nous ne votons pas pour nous-mêmes, pour défendre nos aspirations légitimes, nous pouvons au moins reconnaître des raisons de voter pour autrui – en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité, pour lesquelles notre aide n’est pas superflue » (Vandamme, 2023, p. 226). Des partis politiques qui favorisent la résolution des inégalités sont alors à prioriser, même si nous ne nous sentons pas représentés.

Miriane Demers-Lemay, « Redécoupage : des circonscriptions jugées trop vastes », Radio Canada, Publié le 20 septembre à 14 h 29

Vandamme, Pierre-Étienne. « Quand l’abstention est-elle moralement justifiable ? », Raison publique, vol. 26, no. 1, 2023, pp. 219-235.

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