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Oser penser la population vieillissante

Par Mathieu Perchat le 2023/03
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Oser penser la population vieillissante

Par Mathieu Perchat le 2023/03

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

Tout le territoire du Bas-Saint-Laurent est fortement dévitalisé. Le remplacement de la main-d’œuvre est un enjeu majeur. Par exemple, en 2020, pour 100 résidents de 55 à 64 ans, à peine 54 personnes de 20 à 29 ans sont installées au Bas-Saint-Laurent. Une statistique qui démontre qu’il y a actuellement 1 jeune de 20 à 29 ans qui doit remplacer jusqu’à 2 personnes de 55 ans et plus qui prennent leur retraite du marché du travail.

                L’augmentation de l’espérance de vie et les nombreuses naissances de l’après-guerre font qu’aujourd’hui les personnes âgées occupent une proportion importante dans la démographie. En 2050, les personnes âgées représenteront plus d’un quart de la population. Parler des réformes de retraite et de travail ne suffit pas dans les situations de crises actuelles (chômage, climat, etc.), car ces personnes possèdent des ressources insoupçonnées. Les clés pour passer cette transition démographique difficile se trouvent dans la coopération des deux générations.

Les personnes âgées ressentent des besoins différents que les autres générations, ce qui se voit dans le conflit politique intergénérationnel. C’est pourquoi Luc Broussy, spécialiste dans l’analyse des pays vieillissants, propose d’ « agir sereinement quand il en est encore temps plutôt que de devoir réagir quand il sera déjà bien tard ».

Ce qu’une population vieillissante apporte comme spécificité dans une population, c’est le nombre croissant de personnes rencontrant des difficultés auditives, visuelles, motrices ou cognitives. L’autonomie est alors remise en question chez cette partie de la population. Mais comme le rappelle très justement Coralie Sarrazin, docteure en psychoéducation, la perte d’autonomie se produit dans un environnement qui la crée, cette perte n’est pas une propriété de la personne, mais un rapport entre un environnement adapté à une seule partie de la population et une personne qui n’est pas considérée par lui. La technologie n’est pas un bon outil pour la vie des seniors, rien ne remplace le contact humain et les bras de jeunes. 

Beaucoup de personnes ne souhaitent pas entrer dans une structure, au profit de rester à leur domicile. Avec l’augmentation des séniors, il va avoir alors une augmentation de poste d’aides à domiciles. Or, toutes les personnes qui travaillent dans le secteur du « prendre soin » (care) ne bénéficient pas d’un salaire et de conditions de travail adéquats. Ce qui traduit une mauvaise reconnaissance de cette activité. Ces métiers provoquent deux fois plus d’accidents du travail que par exemple, le travail dans le bâtiment ; ce qui traduit des conditions de travail très difficile, un besoin de matériels inexistants, etc. Alors forcément le secteur rencontre de la difficulté à engager.

Faute de professionnels, le maintien à domicile mobilise alors les familles, c’est pourquoi près de 15% des familles en activités sont des proches-aidants. En 2022, une personne de 80 ans peut bénéficier de l’aide de 2.4 personnes, chiffre qui tombera à 1.3 en 2040. Ce qui montre qu’il va être de plus en plus difficile pour les personnes en activité de s’occuper de leur famille.

Pour lutter contre cette perte d’aides, des politiques d’immigrations se réalisent pour attirer de la main-d’œuvre étrangère. Ce qui exige davantage un salaire digne pour ses personnes qui viennent nous aider à prendre soin de nos populations en demande. 

Il y aurait alors que ces deux solutions : soit les résidences de personnes âgées, soit le domicile. Pourtant, il existe de nombreuses alternatives. Par exemple, repenser les rues et les villes qui sont ouvertement hostiles à la perte de mobilité. Les bancs publics permettent de couper l’effort de marche. Ou favoriser une entre-aide entre personnes âgées.

                Une population vieillissante engendre comme conséquence économique une augmentation de la pression économique sur la population active de plus en plus mince. Une étude montre également que les personnes en retraite bénéficient d’un plus grand pouvoir d’achat que les plus jeunes.

L’une des causes de l’augmentation de l’économie de cette partie de la population provient du boom immobilier. En effet, les personnes en retraite sous souvent propriétaires de leur résidence principale, et n’ont plus de crédit à rembourser. Il y a alors des enjeux à réussir à sortir cette richesse qui est coincée dans cette crise immobilière et dans l’actif immobilier. « C’est probablement le soutien à l’investissement locatif qui est l’exemple le plus net permettant de suspecter une politique générationnelle orientée pro-papy-boomers. Ces derniers sont en effet souvent propriétaires de leur résidence principale et n’ont plus de crédit à rembourser » (Arnaud et Essafi, 2017).

« L’alternative pour les jeunes générations consiste souvent entre la location dans les centres urbains et l’achat dans le péri-urbain. Mais même l’achat peut aujourd’hui être interrogé. Car si ce mouvement de baisse des prix se poursuit sur les quinze prochaines années du papy-boom, quelle sera la création de valeur patrimoniale pour ces personnes ? Ils auront acheté très cher un bien, en le finançant par de la dette, alors même que ce bien risque de perdre une partie de sa valeur » (Arnaud et Essafi, 2017).

Un autre enjeu se situe dans la politique : il est acté que les jeunes votent peu, alors que les personnes retraitées votent majoritairement. Les différentes élections sont à l’image de cette dernière population. De ce fait, avec leur pouvoir économique et politique, les personnes âgées décident.

Pour que ce vieillissement ne soit pas un naufrage, il faut dans un premier temps l’accepter afin de mieux le préparer. Les bras et les têtes des jeunes auront à s’occuper de la transition démographique en plus de l’urgence climatique. Or aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose de prêt. Comme si les bras de jeunes étaient aussi nombreux que dans les années 2000. Alors que les préposé.es et autres métiers du care commencent déjà à manquer. Le bien vieillir est alors intrinsèquement lié aux attentes et besoins des plus jeunes, leurs alertes sur les questions de logement et de précarité, de condition de travail et de pouvoir économique et politiques.

Le risque est que nos seniors se renferment sur leurs intérêts générationnels, que la solution soit d’user les jeunes. Bien vieillir se prépare et demande des adaptations et une collaboration avec sa jeunesse, plutôt que contre elle.

Sources 

Simon, Arnaud, et Yasmine Essafi. « Concurrence générationnelle et prix immobiliers », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, vol. , no. 1, 2017, pp. 109-140.

Coralie Sarrazin, Loic Andrien, Handicap, pour une révolution participative, Montréal, Érès, 2021.

Le Sommet sur la retraite : une étape importante pour le dialogue social au Québec : https://irec.quebec/actualites/2022/11/le-sommet-sur-la-retraite-une-etape-importante-pour-le-dialogue-social-au-quebec

Mémoire présenté à la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale dans le cadre des consultations sur le RRQ : https://irec.quebec/publications/memoires/memoire-presente-a-la-commission-des-finances-publiques-de-lassemblee-nationale-dans-le-cadre-des-consultations-sur-le-rrq

Études sur l’augmentation des revenus des retraité.es : https://economistesquebecois.com/publications/les-revenus-de-retraite-des-quebecois-evolueront-considerablement-dici-2030/

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