
« La nation iroquoise avait l’habitude de demander qui, dans l’assemblée, allait parler au nom du loup1. » Il faudrait, encore aujourd’hui, que des représentants de la nature siègent partout où sont prises les décisions importantes, car chaque action humaine a inévitablement un impact « sur tous ces peuples qui ne parlent pas mais avec lesquels nous faisons monde commun2». Même les arbres, qui évoluent pourtant si lentement dans le silence, sont dotés d’une sensibilité et d’un mode de communication aussi fabuleux qu’étrangers à l’homme. Créer les conditions d’un dialogue avec tous les êtres vivants, c’est le défi auquel fait face la société occidentale actuelle et, pour y parvenir, doter les entités naturelles de statuts juridiques afin de reconnaître leurs droits fondamentaux semble faire partie de la solution.
Le poète Henry-David Thoreau racontait jadis : « Voici ce qu’ont fait ces vauriens de Californiens. Les arbres étaient si majestueux et vénérables qu’ils ne purent tolérer de les laisser croître de l’épaisseur d’un cheveu ou de les laisser vivre, ne fût-ce qu’un instant de plus, pour ne pas souffrir de la comparaison. Les arbres étaient si gros qu’ils ne purent se résoudre à ce qu’ils grossissent davantage. Ils étaient si vénérables qu’ils les coupèrent sur-le-champ. Et tout cela non pas pour en récupérer le bois mais parce qu’ils étaient majestueux et vénérables3. » L’être humain est une espèce invasive, et le monde animal n’échappe pas, lui non plus, au dépit de l’Homme. « Pourquoi détruire une bête plus puissante et mieux adaptée que soi4? » demande l’écrivain Sylvain Tesson.
Je suis la rivière et la rivière est moi5
Il est désormais crucial que l’humanité devienne humble, c’est-à-dire qu’elle réalise que chaque être vivant, chaque écosystème de la Terre est une merveille inestimable. Selon le juriste Nicolas Blain, il faut reconnaître que : « Chaque entité de la biosphère joue un rôle dans le fonctionnement et la régénération des écosystèmes. Pour cette raison, toute composante naturelle dispose d’une valeur intrinsèque, qui doit être reconnue et respectée, indépendamment de son utilité pour l’Homme6. » Dans la francophonie, la juriste Valérie Cabanes milite depuis plusieurs années afin que soit reconnu mondialement l’écocide, le crime contre la vie sur Terre. Actuellement, seize États ont reconnu ou sont en voie de reconnaître le crime d’écocide, parmi eux la Finlande, la Nouvelle-Zélande, la Belgique et le Bangladesh7. D’abord imaginée par le professeur Christopher D. Stone dans les années 1970 aux États-Unis, la reconnaissance juridique des droits de la nature gagne en importance8.
Menacée par la construction de barrages hydroélectriques, la rivière Magpie, située sur la Côte-Nord québécoise, a été déclarée personnalité juridique en 2021 par le Conseil des Innus d’Ekuanitshit et la MRC de Minganie. La rivière, qui constitue une partie intégrante de la culture et de l’identité de la Première Nation des Innus depuis des temps immémoriaux9, est désormais reconnue « entité vivante » et possède des droits qui lui sont propres, « au même titre qu’un être humain ou qu’une corporation10 ». Des « gardiens » qui veilleront au respect des droits de la Magpie devant les tribunaux seront nommés pour parler au nom de la rivière11. Cette avancée permet d’espérer la reconnaissance des droits inhérents d’autres écosystèmes québécois, par exemple le fleuve Saint-Laurent, les monts Chic-Chocs et la rivière Bonaventure.
À pas de loup
Il est intéressant de constater à ce propos que la seule façon de protéger un territoire naturel de l’exploitation est de lui reconnaître une utilité humaine (à des fins récréatives, culturelles, sportives, etc.). Or, certaines réserves naturelles devraient pouvoir exister pour elles-mêmes, pour la faune et la flore qui les habitent. L’être humain serait-il capable d’accepter que de vastes étendues sauvages magnifiques lui soient interdites d’accès, même à des fins scientifiques? C’est à ses villes et ses villages que l’être humain doit se consacrer, afin d’y inviter à nouveau toute la biodiversité d’antan. Se porter au chevet de mère-nature n’est pourtant pas bien compliqué!
Lorsque l’on aime véritablement la nature, on sait se faire discret, respectueux, aimant. À lui seul, l’humain est devenu si bruyant : ses lourdes semelles détruisent l’humus forestier et le moindre son de sa voix effraie les oiseaux. Il faut souhaiter à l’humanité rien de plus qu’un humble stage de réadaptation à l’école de la nature.
1. Collection Mondes sauvages, Pour une nouvelle alliance, Actes Sud, https://www.actes-sud.fr/node/61494
2. Ibid.
3. Henry David-Thoreau, Les citations écologiques avant l’heure, Éditions Gallimard, 2017, p. 94-95.
4. Sylvain Tesson, La panthère des neiges, Éditions Gallimard, 2019, p. 45.
5. Adage maori, https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/03/20/la-nouvelle-zelande-dote-un-fleuve-d-une-personnalite-juridique_5097268_3244.html
6. Nicolas Blain, L’essentiel des droits de la nature, https://droitsdelanature.com/lessentiel-des-droits-de-la-nature
7. Vincent Munier, France Inter, Le Grand Atelier, 11 décembre 2022 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-atelier/le-grand-atelier-du-dimanche-11-decembre-2022-9458060?fbclid=IwAR05qMIFPK2o8MYYAJOET9zlnqE5FayA_cxLGgpkPlBDQsa-rDMv1P70jbg
8. Christopher D. Stone, School of Law, University of Southern California, https://gould.usc.edu/faculty/?id=372
9. Observatoire international des droits de la Nature, Rivière Magpie, 2021, https://observatoirenature.org/observatorio/riviere-magpie/
10. Alexandre Shields, « Élus et autochtones promettent de bloquer Hydro-Québec sur la rivière Magpie », Le Devoir, 23 février 2021, https://www.ledevoir.com/environnement/595762/elus-et-autochtones-promettent-de-bloquer-hydro-quebec-sur-la-riviere-magpie
11. Ibid.