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Accueillir par la nostalgie

Par Mathieu Perchat le 2023/02
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Accueillir par la nostalgie

Par Mathieu Perchat le 2023/02

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local

La nostalgie est l’un des concepts métaphysiques traduisant une émotion de l’être humain qui peut être considéré en éthique afin de renforcer une considération plus altruiste de l’étranger grâce à un autre point de vue qu’elle révèle.

Elle réfère à une douleur provoquée par l’absence d’un environnement. Sa différence avec le deuil se tient justement dans le terme « environnement », car pour le deuil, c’est le vide d’un être qui provoque une douleur, alors que pour la nostalgie, c’est le vide d’un environnement, contenant à la fois des êtres mais également tout ce qui entoure et rend possible la relation avec autrui ; Paul Ricoeur a très bien su saisir le vide de l’environnement auquel réfère la nostalgie : « ce que la nostalgie vise, […] c’est une totalité, un monde » (2013, p. 31). Ainsi, pour se situer dans un registre plus romantique, la nostalgie est provoquée par le souvenir d’un paysage (à la fois naturelle et humain), souvenir qui induit son absence et le vide provoqué. Nietzsche, l’un des penseurs de la nostalgie, évoque ces mêmes traits de la nostalgie :

« C’est l’aspiration au passé dans ce qu’il a eu de meilleur. On ne se sent plus nulle part chez soi, on finit par aspirer à retourner en arrière, dans un monde où l’on puisse se sentir un tant soit peu chez soi (1985, p. 30)».

De ce fait, la nostalgie n’a pas de limite spatio-temporelle : elle réfère à un paysage toujours actuel, mais dont la distance spatiale ne le rend plus effectif ; à la fois temporelle lorsqu’il n’est plus effectif dans le présent. Pour la considération spatiale, la nostalgie pointe la douleur à quitter son espace « naturelle » et à pouvoir le voir uniquement sous l’aspect de souvenir. Ce faisant, pour échapper à cette douleur, l’individu va rechercher des éléments qui lui offriraient un ersatz de leur paysage. Cet ersatz va en plus, leur donner la possibilité d’avoir un lieu dans lequel habiter, donc se sentir chez soi, cela dans le but de pouvoir découvrir l’altérité des autres paysages sans être en position de vulnérabilité. Pour imager cela, le petit enfant doit posséder une figure d’attachement sécuritaire pour découvrir le monde et pouvoir retourner auprès de celle-ci au moindre danger. C’est un procédé identique mais plus complexe pour un étranger arrivé dans un paysage culturel différent.

Ainsi, la nostalgie devient le sentiment de rupture avec l’ambiance d’un quotidien qui embrassait l’individu de ses bras ; quitter son quotidien le plonge dans une immensité avec des frontières floues, dont il faut reconstruire des limites pour s’y repérer et s’y balader avec toute la tranquillité quotidienne. Pour réaliser une telle construction, des matériaux de base et des outils doivent être à disposition, la future construction va pouvoir épouser les nouvelles contraintes et avantages de l’environnement, cela en créant un quotidien composé d’une familiarité et d’une étrangeté. Ces deux composants ne sont plus en opposition mais constituent un système stable.  

Il y a un abandon irrémédiable dans la douleur induite par la nostalgie ; l’abandon d’un paysage auquel il ne sera plus possible de retrouver. Même si l’individu y retourne pour refaire partie de cette totalité, une rupture s’est produite entre lui et elle ; il refera partie de cette totalité mais à partir d’une tout autre dynamique. Lorsqu’un enfant quitte sa maison natale et y retourne quelques années plus tard, il sent qu’il n’est plus chez lui, et que jamais il ne se retrouvera dans la même ambiance que lorsqu’il y résidait.

Dans un registre politique et éthique, exiger de l’étranger une adaptation sous forme d’insertion est totalement cruelle et antipathique car pour que l’étranger accueille le paysage culturel dans lequel il est d’office immergé, un petit microcosme de sa culture est nécessaire. Il ne faut pas l’obliger à oublier ses traditions mais au contraire l’aider à retrouver et maintenir ce noyau pour qu’il puisse s’ouvrir. 

Quitter son paysage quotidien, quitter son pays n’est pas un acte anodin, même si ce dernier vise à fuir une guerre, la famine ou encore une vie misérable. Le pays d’accueil, même en offrant une qualité de vie matérielle supérieure, ne pourra combler ce que le paysage natal a offert. Cette immigration ne se fait pas le cœur léger, l’abandon est un poids dont l’individu ne peut se libérer ; il laisse derrière lui ce qu’il ne pourra retrouver, même s’il y retourne plus tard. Le temps, les changements du paysage natal, l’évolution de l’individu lui-même entrainent inexorablement l’impossibilité de retrouver les sensations et paysages perdus. Chaque personne participe dans la construction de son paysage natal ; se changer en étant en dehors de l’ambiance du paysage revient à s’éloigner toujours plus de lui et percevoir l’étranger qu’ils sont devenus l’un envers l’autre.

Le pays d’accueil doit considérer la difficulté qu’engendre la nostalgie. Mais étant le pays qui reçoit, il ne voit que ce qu’il donne, améliorant la condition matérielle de la vie quotidienne. Ce don demande en tribut d’accepter la culture d’accueil et de mettre au second plan celle d’origine. Implicitement, il y a une peur de voir son paysage transformé par une nouvelle culture et découvrir de l’étrangeté dans son quotidien, perdant de ce fait une ambiance natale. C’est la mutation d’une nostalgie spatiale à une nostalgie temporelle. Pour s’en prémunir, le pays d’accueil use de concepts dichotomiques et contraires pour légitimer le refoulement de nouvelles cultures afin de les subsumer à la sienne.

Comprendre cette dynamique permet d’être véritablement hospitalier.

Sources :

  Ricœur, Paul. « Vers la Grèce antique. De la nostalgie au deuil », Esprit, vol. novembre, no. 11, 2013, pp. 31.

  Nietzsche, La Volonté de puissance, trad. G. Bianquis, tome II, Paris, Gallimard, 1985 p. 231.

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